Nous avons fait deux détours importants : l'un pour « dessiner notre Dieu » et l'autre pour « dessiner notre Église ». Maintenant, sans oublier le début de cette lettre, nous pouvons aller plus loin et nous donner quelques repères, afin qu'avec notre vie de tous les jours, nous disions quelque chose de la Vérité et de la Beauté de l'Amour que Dieu nous confie.
Premier repère → AIMER SA VIE
Ce n'est pas si facile. Beaucoup de jeunes n'aiment pas assez leur vie. Ils peuvent même ne plus l'aimer du tout. « Je n'ai pas la beauté que j'aimerais avoir... je ne suis pas comme j'aimerais être... je ne réussis pas comme j'aimerais réussir... pourquoi m'a t-il (elle) laissé tomber ?... on ne m'aime pas... » La forme tragique du désamour de sa propre vie est le suicide. S'aimer humblement soi-même est peut-être la plus grande grâce !
Car, dans la foi, j’apprends que ma vie vient de Dieu et qu'elle va vers Dieu. Elle vient de plus loin que la rencontre amoureuse de mes parents. Elle va plus loin que la mort. Elle peut être dramatiquement brève (un accident, une maladie grave...), elle peut me sembler trop longue (un handicap ou un mal qui n'en finit pas) : ce que je crois, c’est que Dieu me la confie pour le temps où, avec Lui, j'ai du ciel à faire sur la terre ; Il me donne ma vie avant de me partager à jamais la sienne dans ce mystérieux ciel de bonheur qu'Il veut pour chacun, chacune. Alors je prie pour que tu aimes ta vie, quoi qu'il arrive, car c'est en aimant humblement sa vie qu'on peut être aimé et aimer !
Deuxième repère → S'ÉMERVEILLER D'ÊTRE HOMMES
ET FEMMES
Notre Dieu ne crée pas le monde n'importe comment. Là encore, si nous relisons le premier poème de la création dans la Bible (Gn 1), nous voyons qu'Il aime la différence et la complémentarité ! Il y a le ciel ET la terre, le jour ET la nuit, la mer ET les continents, le soleil ET la lune, le monde végétal ET le monde animal ! Et d'une façon toute particulière, il s'applique à faire l'homme ET la femme... A eux deux, ils sont « à son image et ressemblance ». Merveilleux ajout qui dit combien c'est le bel amour de l'homme et de la femme qui dit le mieux à quoi ressemble son amour à Lui.
A l'heure où l'homosexualité devient un fait de société, une façon comme une autre d'aimer, notre Église garde le courage de dire deux non pour un oui :
– non à la condamnation moqueuse et méprisante des personnes homosexuelles : elles peuvent d’ailleurs souffrir de leur état de vie. Elles demeurent toutes aimées de Dieu et appelées à aimer mieux ;
– mais non aussi à la banalisation de l'homosexualité : cette voie ne peut pas être celle que nous propose le Christ ;
– oui à l'amour responsable et fidèle avec la personne différente de moi ; oui à l'altérité qui peut donner la vie !
Troisième repère → AIMER SON CORPS AVEC JUSTESSE
On ne peut aimer qu'avec tout soi-même : et soi-même, c'est un corps, un esprit et un cœur !
Tel qu'il est, notre corps est un don de Dieu. A aimer avec juste mesure. En évitant deux excès contraires, mais très courants aujourd'hui.
Le premier, c'est le culte du corps et de sa beauté extérieure : le corps devient comme une idole à laquelle il faut tout sacrifier. C'est le ressort d'une quantité de publicités plus ou moins mensongères qui font rêver de devenir l'Apollon ou la Vénus que nous rêvons d'être ! Or, dure dure est la réalité !
Le second est l'excès contraire : le mépris de son corps. On le néglige, on l'instrumentalise sans pudeur, on le soigne mal ou pas du tout, on l'abîme dans l'excès du tabac, des drogues ou de l'alcool, ou encore dans la vitesse folle pour soi et pour les autres.
Il n'y a qu'une seule raison pour laquelle on puisse risquer sa vie et même la perdre : c'est l'Amour du prochain, du prochain tel qu’il est. Du prochain qu’on n’a pas choisi.
« Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime » (et même s'ils ne nous aiment pas) (Jn 15, 13). C'est le choix du Christ et, grâce à Lui, de nombreux saints et saintes, à tous les âges de l'Église !
Quatrième repère → « TU NE FERAS PAS DE L'AUTRE TON OBJET »
Il y a des « interdits » qui font vivre. Dont il vaut la peine de les garder à jamais dans sa mémoire. Je vous en confie un seul que j'aime entre tous, même s'il n'est pas toujours facile à vivre : il résume à lui seul tous les commandements de Dieu : « Tu ne feras pas de l'autre ton objet », ni de Dieu, ni d'un homme ou d'une femme, ni d'un enfant bien sûr. L'autre n'est pas un objet qu'on manipule à loisir. Le corps d'un autre, ça ne s'essaie pas.
J'ai mieux appris cela d'un philosophe juif du XXème siècle, Martin Buber : il a écrit sur la relation un tout petit livre superbe : « JE et TU ». Lisez-le et je suis sûr que vous aimerez la philosophie ! L'autre n'est pas un « CELA », une « CHOSE », un « OBJET » que l'on pourrait manipuler à loisir, pour son seul plaisir, avant de le laisser tomber après usage !
Cinquième repère → APPRIVOISER, CELA
DEMANDE DU TEMPS ET DES ÉTAPES
Rappelez-vous l'inoubliable dialogue entre le petit prince et le renard 1
– « Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ? »
– C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens"... On ne connaît que les choses que l'on apprivoise. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître... Il faut être patient... Mais chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près... »
Apprivoiser demande du temps et des précautions : ce n'est pas capturer violemment, brutalement. Apprivoiser demande des étapes : « Chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près ».
Dans une relation affective, c'est à l'évidence bousculer les étapes que de la réduire d'abord à la relation sexuelle et à son plus ou moins bon fonctionnement. Je suis même sûr que c'est le chemin le plus sûr de son échec. Les statistiques sont là :
« Les divorcés sont plus nombreux dans les mariages qui ont été précédés de cohabitation. On aurait dû assister en France à une chute spectaculaire des divorces, puisque la plupart des couples mariés ont fait les essais de la cohabitation, c'est le contraire qui s'est passé : la cohabitation s'accompagne d'une montée des divorces » [1]
Il faut le temps de l'apprivoisement respectueux, celui de ce qu'il serait toujours bon d'appeler les fiançailles ; il y a tant d'autres langages à partager, de projets à se confier avant le dialogue des corps. Il y a tant de questions majeures à se poser : « Quel sens donnerons-nous à notre vie ? C’est quoi, réussir sa vie ? Quelle terre ferons-nous pour nos enfants ? Quels engagements prendrons-nous ? Quelle est notre foi ? Où puiserons-nous l'amour et la force d'aimer ? ».
Il faut du temps à chacun pour dire à l'autre ce qui lui tient vraiment à cœur. Même avec les mots les plus simples. Chacun sait alors qu'il est écouté et respecté ! S'il est aimé plus pour ce qu'il est que pour son seul corps !
La sagesse populaire, décidément, n'est pas bête quand elle nous conseille de toujours mettre les bœufs avant la charrue ! Et l'Église n'est pas en retard lorsqu'elle propose un temps de vraies « fiançailles » avant le mariage !
Sixième repère → DÉCOUVRIR LE SENS
DU SACREMENT DE
MARIAGE
Comme tous les sacrements, il est un don que Dieu nous fait pour une mission à réussir avec Lui. Dans le mariage, Dieu nous donne son Alliance. Il nous la confie pour que nous en vivions et que nous la fassions réussir autour de nous et en nous.
Il y a de quoi faire !
Quand on lit l'Ancien et le Nouveau Testaments, il est question de l'Alliance presque à toutes les pages. Dieu nous en révèle la beauté petit à petit ; Il nous dit son bonheur de l’offrir à son peuple. Et du coup, ses déceptions, ses colères, son envie de tout casser quand son peuple l'abandonne. Mais aussi son choix de lui pardonner « s'il revient ». Mieux, son courage pour faire vers lui « le premier pas » quand il ne revient pas. Et encore mieux, son bonheur de l'aimer jusqu'à mourir pour lui s'il le faut, même s'il ne le mérite pas du tout. C’est à cette qualité d’amour que l’on reconnaît celui du Christ. Ça n'est pas pour rien que nous portons sur nous des croix : elles sont le signe de son Amour, de l'Amour le plus gratuit, le plus définitif et le plus fou ! Il n'exige pas la réciprocité pour continuer d'aimer ! Son amour est vraiment libre, fidèle, indissoluble et fécond.
Le mariage-sacrement confie cette mission d'Alliance aux époux qui se le donnent. Après l'avoir célébré, ils le nourriront par leur prière, leur vie en Église et leur vie sacramentelle. En communiant au corps du Christ livré pour eux dans l’Eucharistie, ils renouvelleront leur capacité à se donner et à s’accueillir. En buvant à la coupe du sang versé pour la nouvelle alliance en rémission des péchés, ils recevront la force de se pardonner l’un l’autre. Ils y trouveront l’Amour à sa source. Ils pourront le puiser sans risque de le voir s’épuiser.
Septième repère → DEVENIR PLUS RESPONSABLE DE SA FÉCONDITÉ
Cette question est difficile. Je devine votre désaccord ! Et pourtant, ça vaut la peine de réfléchir !
Toutes les méthodes contraceptives ne sont pas identiques. Les unes (c’est le risque du stérilet et de la pilule du lendemain par exemple) détruisent une vraie vie qui commence. Les autres (la pilule ou le préservatif) empêchent le commencement de la vie. Cela n’est pas la même chose et c’est l’honneur de l’Église de le faire remarquer.
De nombreux couples choisissent les méthodes jugées les plus pratiques et les plus sûres : on fait confiance à la technique ou à la chimie, sans trop se préoccuper d’ailleurs de l’écologie interne de la femme.
Le choix que nous propose l’Église est infiniment plus respectueux de la femme. Il demande plus de responsabilité ; l’Église vous invite à découvrir ce qu’on appelle les méthodes naturelles de régulation des naissances. L’homme doit s’adapter au rythme de sa femme qui n’est pas le même que le sien ; il apprend à choisir avec elle, quand il le faut, ce que nous appelons la continence ; ce n’est pas facile, mais c’est à coup sûr le plus grand signe de respect de l’autre. Demandez-le à des couples mariés : ils vous le diront mieux que moi ! Et là encore, quoi que vous choisissiez, que vous le fassiez en couple ! Et puis, gardez le goût d’avancer vers plus de vérité et de responsabilité dans vos choix de conscience.
Enfin, huitième repère → RECEVOIR TOUTE VIE COMME UN DON DE DIEU
Redisons-le : pour celui qui croit, la vie vient de plus loin que l'union charnelle de ses parents. Pour celui qui croit, la vie va plus loin que la mort. La vie vient plus de Dieu que de nos amours. Elle va plus vers Dieu que vers la tombe. Voilà pourquoi toute vie est à protéger, qu'elle soit embryonnaire, handicapée, gravement malade ou vieillie. Bien sûr, il faut renoncer à tout acharnement thérapeutique, mais dans le même temps, respecter toute vie qui vit encore et peut vivre, sans se donner jamais le droit de la supprimer. C'est à cette lumière qu'il faut comprendre ce que l'Église nous dit sur l'avortement, l'eugénisme et l'euthanasie.
Et sur le suicide aussi, pour les mêmes raisons, contrairement à ce que nous entendons. Nous n'avons pas le droit de mettre un terme à notre vie. Je suis effrayé par le nombre des suicides de jeunes en France. J'ai reçu récemment la lettre d'une confirmée de quatorze ans qui me confie ceci : « Ma meilleure amie a tenté de se suicider trois fois. Parce qu'un garçon a "bien profité d'elle" et l'a "laissé tomber". Je suis allée rencontrer ce garçon et il m'a dit : "Je n'en ai rien à faire !" ». Il y a des paroles qui tuent plus sûrement que les balles…
1 Saint-Exupéry – Le Petit Prince – NRF Gallimard 1946, p. 68-69.
[1] Père Denis Sonet, dans son livre : « Découvrons l’amour ».




