J’ai envie de te répondre : « j’kiff à donf la question ! et quand j’vois c’qu’on bave sur l’Eglise, j’suis vénèr grave, tellement c’est bidon ! »
Parfois au cours de célébration de baptême, je pose la question au bébé : « est-ce que tu crois en Dieu ? est-ce que tu veux bâtir ton existence avec la vie de Dieu ? » et l’enfant répond en silence, ou avec son langage ; mais au vue de ses regards et de ce qui se communique, je peux dire qu’il apprend à avancer en confiance, même si je ne le comprend pas. Chacun, chaque groupe aussi a son langage, sa façon de parler et même parfois les mêmes mots reflètent des réalités bien différentes en chacun, en fonction de son expérience. Des langues communes ont été inventées et s’inventent aussi sans cesse pour mieux s’exprimer, se parler, communiquer et donc communier… Normalement, c’est pour dialoguer avec l’autre, mais parfois aussi, on peut s’enfermer dans son langage…
Jésus aussi a été confronté à cette richesse et à cette limite. Ses mots relatés par ses disciples sont à la fois pétris de la culture qu’il habite, de la tradition qu’il accomplit, des expériences qu’il vit… mais en plus, il a un langage sans cesse neuf, nouveau, qui essaye de dire l’indicible, de dévoiler l’invisible, de nous faire communier avec l’insaisissable. Une parole libre, nouvelle, bonne, remuante, étrangère-plus-qu’humaine… Bien souvent, il est incompris, et il suffit d’écouter les controverses avec tous les groupes. Plus que des mots, ses gestes sont parlants et nous rappellent que nos mots, notre langage est d’abord engagement, don de soi l’un vis à vis de l’autre (j’aime bien voir des sourds parler : ils me rappellent que mes mots sont gestes !) . Sa parole en actes et mots est proximité vis à vis de chacun, présence à l’autre . mais ils demandent aussi d’entrer dans sa parole pour la comprendre ; il utilise des histoires et des choses de la vie habituelle, et les paraboles captent l’infini, mais si je les lis avec mes yeux d’aujourd’hui, ben je vais piger que dalle et parfois en faire une leçon de morale, ou …Les commentateurs anciens de la bible nous redisent qu’il faut sans cesse lire l’Ecriture pour découvrir une Bonne Nouvelle et sans cesse essayer d’aller à la source des mots, de la parole… Je ne suis pas un expert de la Bible, mais je me souviens d’avoir travaillé sur un mot de l’évangile « acolytein » qui veut dire à l’époque d’écriture des évangiles « accompagner, avancer ensemble, suivre » et qui au IV° siècle n’a gardé que le sens de « suivre » ; ça aide à mieux comprendre la façon de vivre avec le Christ… Au fait savais-tu que le mot « péché » voulait dire en hébreu « se tromper de cible , rater le but de son action » , que « bethleem » c’est « la maison du pain », « jérusalem » c’est la « ville de la paix » et que ton prénom veut sans doute dire quelque chose ? aller à la source , donc ! D’ailleurs on dit que la source de toute parole, c’est Dieu… aller à la source y compris avec le langage du silence.
L’Eglise est un signe du Royaume de Dieu, à la suite et avec ce Jésus Christ qu’elle essaye d’aimer, de dévoiler, de montrer et que lui aussi accompagne. Il lui arrive, c’est vrai, d’avoir son « langage de tribu », et c’est vrai que j’ai appris des gros mots en entrant au séminaire, du style eschatologie, kénose, transubstanciation, kérygme… C’est un langage de la tradition, mais la tradition n’est pas répétition, elle est renouvellement, pour essayer de dire avec nos mots d’aujourd’hui et de 2main l’amour infini de Dieu pour chacun, pour tous, à chacun, à tous… mais comme le disait frère Roger, mais aussi BenoitXVI à Noël, Dieu aime la simplicité, et plus on va vers les autres et vers Dieu, plus on est amené à se simplifier ; il nous faut apprendre sans cesse à écouter vraiment les sans voix et à parler le langage de l’autre plutôt d’attendre que ce soit l’autre qui parle notre langage. Après des séjours par ci par là, je peux témoigner que l’Eglise a su et sait encore parler et écouter la Bonne Nouvelle en fang, en eshira, en galoa, en syriaque, en indi, en inuk… en des langues qui parfois auraient été oubliées si des frères et sœurs missionnaires n’avaient pas traduits les évangiles ou les réalités de la vie de tous les jours pour des langages de parfois moins de 200 mots de vocabulaire, et là plus moyen d’utiliser de grands mots abstraits…
Un copain disait au sem, si je n’arrive pas à dire les grands concepts de l’Eglise et de l’Evangile simplement, avec parfois des mots quotidiens, c’est que je ne les ai pas assimilés et qu’il faut que je les intériorise à nouveau dans le langage de l’autre…
L’Eglise parle beaucoup aussi par les gestes ; quand j’étais jeune (ça remonte à des siècles !), les seuls personnes hors milieu hospitalier à aller voir des personnes atteintes du sida, et à toucher les malades sans mettre de gans pour l’onction des malades, c’étaient bien des prêtres ; heureusement que nos anciens dans la foi ont inventé les « hôpitaux » pour montrer que la maladie ne vient pas de Dieu, puisque Jésus cherche soulager les douleurs ; et qu’en tout temps, il y a eu des Vincent de Paul sachant être à la cour du roi mais aussi avec les prisonniers galériens, des gestes de paix, de confiance, de vie tout simples donnés par de humbles chrétiens anonymes… Que de gestes en Eglise qui parlent de la tendresse de Dieu, et je suis sûr que consciemment ou inconsciemment tu en fais aussi …
Souvent elle parle notre vieille Eglise , pour dire « oui » à la Vie, « non » aux forces de mort en moi, en nous, en tous…
Parfois, ça décoiffe, un peu quand Jésus disait des chefs qu’ils étaient des hypocrites, des sépulcres blanchis… et aux compagnons d’Emmaüs qui avaient entendu le témoignage de la résurrection qu’ils étaient des « esprits sans intelligence » ( on dirait maintenant « espèce de c… »)
Mais bien souvent, je suis un peu surpris de ce qu’on fait dire à l’Eglise… et là aussi je vais à la source ; ça m’oblige parfois à utiliser mon dico « théologie/ch’ti » pour mieux comprendre, mais les moyens existe pour ouvrir une clé de compréhension : se mettre à plusieurs pour décrypter, avoir le souci de se dire « où est la problématique et le véritable enjeu de ce que dit l’Eglise » plutôt que de s’en tenir à la forme, et surtout avoir l’ouverture d’esprit au niveau mondial plutôt que franco-franchillon-ch’ti ed min coin…
Des personnes, des médias parfois nous font prendre un débordement de bénitier pour un ouragan cataclysmique ecclésiocentrique…Pendant qu’on parle de cela, on ne parle pas d’autre chose, comme des appels à un véritable partage des richesses dans le monde, de la véritable équité hommes-femmes dans le travail (texte de 1964 je crois dans le concile…).
Des cours d’éducation religieuse sont pourtant donnés dans les bonnes écoles de journalisme…Mais que veux-tu, l’acharné de foot qui ne connaît que cela comme sport dit « hors cadre » quand le rugbyman vient de réaliser une transformation !
Bon, je parle trop, là et je t’endors !
Au fait, parler ça fait exister soi et l’autre…On dit que Jésus parle avec « autorité », avec ce truc qui fait que l’autre est auteur de son existence et qu’il est autorisé à communiquer la Vie…
Jean-Denis Corrion