Un peu d'Art dans ce monde virusé !

Le père Venceslas se propose de commenter régulièrement quelques œuvres d'Art pendant ce temps de confinement.

 

TPdC 59. Paul et Silas en prison (Ac 16, 22-34)

 

Avec Nicolas de Plattemontagne (1631-1706) d’après le May de Notre Dame de 1666. Huile sur toile, 101x89cm, Musée des Beaux-Arts de Bâle

Paul et Silas Paul et Silas  Nous sommes dans la ville de Philippes. Sur l’ordre des magistrats, le geôlier  a jeté Paul et Silas au plus profond de la prison, enchaînés, les pieds coincés dans des blocs de bois. Au cœur de la nuit, dans  une obscurité de tombeau, Paul et Silas prient, écoutés par les autres prisonniers.

 

Un tremblement de terre survient alors. Toutes les portes s’ouvrent, toutes les chaînes tombent.  Le miracle ne survient pas seulement pour Paul et Silas : tous ceux qui les écoutent sont eux aussi libérés.

 

Le geôlier, « tiré de son sommeil », se croyant déshonoré par l’évasion des détenus, est prêt à se donner la mort quand Paul le rassure. Devant ce miracle, au milieu du tumulte, il se prosterne alors aux pieds de Paul et Silas qu’il appelle « Mes Seigneurs »

 

Comment contempler cette page des Actes autrement que comme un récit de miracle ?

 

L’auteur insiste sur plusieurs points, habilement mis en page par le peintre : par un grand escalier et une haute fenêtre, il suggère la profondeur de la prison. Chaînes, entraves de bois, portes fortes rappellent l’atmosphère carcérale décrite par les Actes.

Plattemontagne inverse l’effet logique de la lumière pour exprimer le sens de l’épisode. En effet, la lumière, apportée par les soldats, devrait  être plus forte en haut de l’escalier. Mais on n’y trouve qu’une flamme sans éclat, réduisant les personnages à de brunes silhouettes dissoutes dans la nuit. En revanche, les profondeurs sombres du cachot sont éclairées par l’éclat d’une seule torche tenue par le  personnage qui nous tourne le dos à gauche. Cette fois, la lumière est suffisante pour illuminer Paul, Silas, et les détenus qui les accompagnent, révélant les couleurs de leurs vêtements, leurs attitudes et l’expression de leurs visages : celle de l’action de grâce pour Silas, vêtu de bleu et de blanc, et la surprise mêlée d’effroi pour les prisonniers.

Paul, en rouge et vert, semble protester devant le geôlier qui a déposé son épée pour se prosterner devant lui. Celui-ci vient d’échapper à la mort. Vêtu de blanc, comme les catéchumènes, illuminé, il se prépare à entrer dans la vie éternelle par le baptême.

Lumière nouvelle et ténèbres d’un tombeau, liberté et enfermement, sommeil, mort et vie, tout est là, mis en scène pour décrire une Pâque à la suite de la résurrection de Jésus.

Alors que la foule avait tenté de faire taire les deux apôtres, voici qu’une autre foule, composée de parias, supposés pécheurs,  les a écoutés, qu’un geôlier « avec toute sa maison » entre dans le baptême, et qu’avec eux, toute une garnison  est témoin d’un miracle divin.

 

On n’arrête ni la parole de Dieu ni la joie de croire en Lui. Toujours la grâce se répand, parfois surprenante. C’est le propos de tout le livre des Actes des Apôtres.

 


 

TPdC 58 Le couronnement de la Vierge Marie

 

couronnement de la Vierge Marie couronnement de la Vierge Marie  Avec Enguerrand Quarton (1411-1466) 1454, détrempe sur bois, 183 x 220 cm. (détail) Villeneuve-Lès-Avignon, musée Pierre de Luxembourg

Le visage de Marie a la pureté d’un lys. Parée de brocard rouge et de velours bleu, elle est couronnée par le Père et le Fils qui déploient autour d’elle leurs somptueux manteaux de pourpre royale. Ce majestueux couronnement de Marie ne serait-il qu’un mystère du rosaire, dévotion mariale outrée ? La question mérite d’être posée.

Autour d’elle, le Père et le Fils ont le même visage, celui de Jésus, selon une iconographie alors un peu datée, rappelant que c’est en Lui que nous pouvons voir le Père que nul n’a jamais vu. Entre eux, unissant leurs bouches, la blanche colombe de l’Esprit-Saint déploie largement ses ailes, exprimant que Jésus est le Verbe de Dieu, sa Parole faite chair. Trois auréoles crucifères, rigoureusement identiques les couronnent. Avant Marie, c’est la Trinité qui est ici glorifiée. Mais l’artiste ferait-il de Marie une 4e personne de la Trinité ?

Pour ne pas le qualifier d’hérétique, il nous faut contempler Marie, telle que la Tradition la considère, « modèle de l’Eglise, dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union avec le Christ » figure de l’Eglise achevée, c’est-à-dire de toute l’humanité invitée à l’union avec Dieu, « foule immense que nul ne peut dénombrer » (Ap 7, 9) et qui se déploie autour de du groupe central, ne laissant aucun espace vide. « Dans le ciel où elle est déjà glorifiée corps et âme, la mère de Jésus représente et inaugure l’Eglise en son achèvement »

En cette reine pure, parée de magnificence par Dieu lui-même, c’est le désir de Dieu pour nous que nous contemplons, tel que l’évangéliste Jean l’exprime : « Jésus dit : En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous » (Jn 14, 20)

Et si Marie est déjà dans la gloire alors que l’humanité est encore en chemin, c’est qu’elle s’est laissée entièrement couvrir par l’Esprit-Saint, au jour de l’Annonciation, acceptant de porter le Fils pour qu’il partage notre condition. Quant à nous, l’Esprit de vérité que Jésus nous promet pour nous défendre et être toujours avec nous (cf Jn 14, 16), nous est donné dans le baptême. Et nous avons sans cesse à nous mettre à son écoute, à lui faire place, pour mieux nous unir à Dieu.

 

Ce projet fou de Dieu peut nous sembler hors de notre portée. En Marie, nous contemplons l’humanité déjà auprès de Dieu, figure de notre vocation, « brillant déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation pour le peuple de Dieu en pèlerinage. »

 

Marie couronnée nous est donnée comme encouragement sur le chemin qui nous conduit vers la pleine communion avec Dieu.


 

TPC 57 Le Sacré-Cœur (Jn 15, 12-17)

 

Georges Desvallières Sacré Coeur Georges Desvallières Sacré Coeur  Avec Georges Desvallières (1861-1950). 1905. Huile sur carton, 107 x 72 cm. Coll. part.

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». La liturgie de ce jour nous place au cœur-même de l’Evangile : une parole directe, dont nous devons reconnaître que jamais nous n’aurons fini de la mettre en œuvre.

 

L’amour du Seigneur évoque pour nous, à la suite des prophètes, un amour de tendresse, d’intimité, pleinement révélé dans le Christ. Il est bon de le méditer, de le savourer, pour vivre dans l’espérance et y puiser la force.
Mais la tendresse du Seigneur n’a rien de mièvre. Elle se révèle dans la violence de la Passion. Comme l’écrivait St Bonaventure au XIIIe siècle, « par la blessure visible de la chair, nous voyons la blessure invisible de l’amour » refusé par les hommes.

 

La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus prit son développement en France au XVIIe siècle et connaît un regain de vitalité à la fin du XIXe siècle. Elle aboutit à une image douceâtre d’un Christ à la beauté irréelle montrant un cœur artificiellement plaqué sur son vêtement.

 

Des artistes chrétiens cherchèrent alors de nouvelles formes plastiques pour rendre à cette dévotion sa force, et exprimer à quelle violence Dieu consent en la personne du Fils pour nous monter « comme il nous aime ».
Cette œuvre de Georges Desvallières, proche de Maurice Denis, s’inscrit dans cette recherche. Alors que la basilique de Montmartre, peinte derrière le Christ, est en pleine construction, il met en image une vision qu’il eut en se promenant dans le quartier de Pigalle : « en levant les yeux, j’aperçus l’église du Sacré-Cœur au dessus de nous, au bout d’une rue. C’était comme si le Christ avait surgi ouvrant son cœur sur ces pauvres êtres qui cherchaient un peu d’amour »

 

Desvallières peint un Christ supplicié, mais détaché de la croix, actif, offrant lui-même sa vie et son amour, en écho à sa parole « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18) Ecartant lui-même la plaie de son côté, Jésus montre lui-même son cœur, organe de la vie qui bat à jamais en sa poitrine de ressuscité, transpercé par les hommes et offert pour les faire vivre de sa vie.
Par une peinture au graphisme violent, lacérée comme un corps flagellé, il rappelle que la tendresse de Dieu s’exprime pleinement dans le don du Christ sur la croix, entier et marqué par la violence extrême, violence du monde qui refuse son amour salvateur.
L’œuvre, exposée au Salon des Indépendants en 1906, fit sensation. Léon Bloy en fit une relation enthousiaste : « A force d’amour et de foi, vous avez fait un Sacré-Cœur (…) à pleurer et à trembler. Vous avez déchaîné ce lion. (…) Chacun de nous est sauvé [par le Christ] mais il vous a sauvé vous (…) parce que le Cœur de Jésus avait besoin d’un peintre et qu’aucun peintre ne se présentait. (…) »
L’œuvre est si violente qu’elle en est insupportable. « Sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, sans apparence pour nous séduire (Isaïe 53, 2), elle nourrit notre méditation sur la tendresse de Dieu en nous rappelant jusqu’où Il se donne pour la manifester au monde.

 


 

TPC 56 La vendange mystique (Jn 15, 1-8)

 

vendange mystique M.Denis vendange mystique M.Denis  Avec Maurice Denis (1870-1943), c. 1890. Huile sur toile, 74 x 51 cm. Pays-Bas, fondation Triton

 

« Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments, Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit. »

 

Le soleil baigne toute l’œuvre, éclaboussée de touches allant du jaune vif au rouge. Mais est-ce un soleil, ou l’auréole du Christ, ou encore les deux à la fois ? Le crucifié est lui-même le soleil qui fait mûrir la vigne. Son corps continue le chemin qui traverse la Vigne. Les sarments s’entourent autour de son corps, partant de son côté percé duquel le sang s’écoule, à moins qu’il ne s’agisse d’une grappe généreuse. Mais la signification est la même : l’offrande de Jésus sur la croix, sa vie entièrement donnée est l’unique source de  vie pour ses disciples. Son propre don précède tout don.

 

Maurice Denis joue avec les motifs à double interprétation, nous emmenant au cœur de la comparaison établie par Jésus. Il la complète par une citation du Cantique des Cantiques, qu’il avait soulignée dans sa propre Bible : « Mon Bien-aimé est une grappe de Cypre dans les vignes d’Engaddi » (Ct 1, 14) Oasis luxuriante au cœur du désert, Engaddi est toujours un paradis de fraîcheur à la végétation généreuse. Quant au cypre, arbuste très odorant, il y servait souvent de tuteur pour les vignes auxquelles il donnait un goût et un parfum rare. Par ce rappel du Cantique des Cantiques, l’artiste déploie le sens de la comparaison : si nous restons unis au Christ, nous porterons beaucoup de fruit, et un fruit délicieux et parfumé pour le monde.

 

A la vigne, des femmes vêtues comme des religieuses s’activent. Dans l’art de Maurice Denis, la figure féminine est souvent associée à l’âme chrétienne. Occupant tout l’espace, elles expriment combien la récolte est généreuse. Leurs hottes ou leurs paniers se sont transformées en calices sous le pinceau du peintre, unissant encore le fruit de la mission au Christ versant son sang sur la croix.

 

La croix de mort devient une vigne joyeuse, généreuse, parfumée. Mais c’est à  nous d’en recueillir les grappes. Plus que jamais, le Christ a besoin de nos bras pour récolter et partager le fruit de son amour. Encore faut-il le voir, scruter le monde à la recherche des signes du Royaume. Une femme, les mains croisées tandis que ses sœurs travaillent, nous le rappelle. Elle incline son visage vers le calice, en réponse au visage du Christ incliné vers la terre où sa vie donnée continue de porter beaucoup de fruit

 


 

TPC 55  Paul  et Barnabé à Lystres (Ac 14, 5-18)

 

Paul et Barnabe a  Lystres Michel I Corneille Paul et Barnabe a Lystres Michel I Corneille  Avec Michel I Corneille (1603-1664)  May de Notre Dame de Paris, 1644, huile sur toile, 340 x260 cm. Arras, musée des Beaux-Arts

 

Les Actes des Apôtres racontent comment les disciples répandent l’Evangile dans toutes les grandes villes de l’Empire. Ainsi, Paul et Barnabé parviennent  à Lystres, dans l’actuelle Turquie. A la suite de Jésus, ils « annoncent la Bonne Nouvelle » et guérissent un infirme de naissance, représenté portant sa béquille devenue inutile.

 

Les Actes établissent le parallèle avec les Evangiles : la guérison opérée par Paul et Barnabé repose sur l’écoute de la Parole et la foi de l’infirme. Comme dans les Evangiles, « les foules » réagissent devant ce miracle : les foules de Galilée voulaient faire de Jésus leur roi parce qu’il avait multiplié les pains (cf Jn 6, 15). Devant la guérison de l’infirme, les habitants de Lystres, de tradition païenne, s’écrient : « les dieux se sont faits pareils aux hommes et ils sont descendus chez nous, » et convoquent aussitôt le prêtre de Zeus pour qu’il leur sacrifie un taureau. Le risque traverse les siècles et les cultures : confondre le messager et celui qu’il annonce, la Création et son Créateur, des hommes de chair avec les vaines idoles pétrifiées sur leur haut socle.

 

Alors que tout est prêt pour le sacrifice : bête accompagnée d’hommes couronnés de feuilles, prêtre, sacrificateur armé de sa hache, vases pour la purification, feu sacré amené en procession et prêt à être ranimé devant les deux apôtres, ceux-ci réagissent. Ils ne veulent pas être mis à l’écart, enfermés dans un temple, comme de vaines idoles. Ils sont de cette humanité qui les enserre et entendent bien le  rester. Ils déchirent alors leurs vêtements. L’antique geste de lamentation devient révélation : Paul et Barnabé dévoilent leur corps,  leur chair humaine comme le Fils mis à nu.

 

Revendiquant leur condition humaine et leur mission de disciples, ils témoignent qu’ils ne font que leur devoir, en simples serviteurs, à la suite du Christ (cf Luc 17, 10) Alors, ils peuvent annoncer « le Dieu vivant », maître des temps et de l’histoire que Jésus leur a révélé. Au-delà des statues muettes et des temples illusoires, un ciel nouveau s’ouvre pour les habitants de Lystres.

 


 

TPC 54 - Résurrection

 

image protegeeAvec Arcabas (1926-2018) détail du Polyptique « Passion-Résurrection » (plus de 18 m de long), 2003. Huile sur toile, 2,22 x 1, 35 m. Sanctuaire de Montaigu, Belgique

Il leur avait dit, le soir de leur dernier repas : « Je SUIS le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6) Puis vinrent les heures d’angoisse et la mort. Peut-être avaient-ils oublié ces paroles qui semblaient avoir perdu sens dans le tombeau.

 

Le rideau du Temple avait beau s’être déchiré, dévoilant aux yeux de tous le mystère de Dieu, ils ne comprenaient pas.

 

Et le matin de Pâques, l’incroyable s’était produit, et une pierre roulée avait tout changé.
Les blessures qu’ils avaient nettoyées avec tendresse devenaient source de vie nouvelle, pétillantes de joie.
Le linceul qui enfermait le corps du Bien-Aimé l’avait libéré.

Et voici que ses jambes qui ne devaient plus marcher enjambaient le tombeau pour reprendre le chemin avec ses disciples.

Et voici que sa bouche qui ne devait plus parler continuait de leur enseigner la parole de vérité.

Il était le Temple nouveau rebâti en trois jours comme Il l’avait annoncé. En Lui, vraiment Dieu s’était fait chair pour se donner à voir et à entendre.

 

Un nouveau pèlerinage commençait, uniquement guidé par Celui qui de toute éternité, était, est et sera le chemin, la Vérité et la Vie.

 


TPC 53 - La Trinité (Jn 14, 7-14)

 

Trinité Trinité  Avec Nicoletto Semitecolo (actif de 1353 à 1370) c. 1370, tempera sur panneau, 30 x 40 cm. Cathédrale de Padoue​

« Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père »

 

Bien que Jésus ait souvent parlé à ses disciples du lien qui l’unit au Père, ces paroles prononcées alors qu’Il entre dans sa Passion ont dû leur sembler bien énigmatiques. Jésus atteste qu’Il n’a pas vécu, parlé et agi pour lui, mais pour Celui qui l’a envoyé. En annonçant sa mort comme un « départ vers le Père » (cf Jn 14, 12), Jésus donne sens à la croix toute proche.

 

Sur ce petit panneau, Semitecomo essaie d’exprimer ce lien unique entre Jésus et son Père. Sa plus belle réussite est la correspondance des mains du Père avec celles du Fils, signes émouvants d’une volonté commune. En donnant au Père la même position que celle du Fils, Il lui attribue la place de la croix. L’œuvre n’insiste pas sur la crucifixion comme supplice, mais comme révélation finale du chemin de Jésus vers le Père.

 

Au XIVe siècle, la spiritualité italienne est peu marquée par la mystique du sentiment qui se développe peu à peu dans les pays nordiques. L’œuvre, frontale, d’une froide solennité, ne cherche pas à nous émouvoir par la vision du corps supplicié du Christ. Celui-ci est beau, lisse, à peine marqué par les blessures des clous et de la lance. Le visage n’est pas marqué par la souffrance, et une riche auréole l’entoure, écho de celle du Père. La nudité du Christ souligne la majesté simple des vêtements du Père. Son sobre manteau, d’un bleu somptueux, l’enveloppe comme un ciel divin. Sans cesse, notre regard est invité à aller de l’un à l’autre.

 

C’est une image théologique qui nous est proposée, affirmant l’égale majesté divine du Père et du Fils. La colombe de l’Esprit-Saint, peinte avec discrétion, est presque effacée par l’usure des siècles. Placée à la hauteur de la bouche du Père, elle exprime que le Christ est la parole divine incarnée.

 

Descendant sur Jésus comme au jour de son Baptême, elle porte au monde le message du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mt 3, 17). « Afin que le Père soit glorifié dans le Christ »

 


 

TPC 52. Le Père ressuscite Jésus. (Ac 13, 26-33)

 

heures du maitre de Dunois heures du maitre de Dunois  Avec Livre d’heures du Maître de Dunois, c. 1439-1450. Londres, British Library

 

Inlassablement, avec d’infinies nuances traduisant une théologie encore à ses débuts, les Actes des apôtres répètent le kérygme, première expression concentrée d’un Credo. « (…) Sans avoir trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort, les habitants de Jérusalem et leurs chefs ont demandé à Pilate de supprimer Jésus. Et, après avoir accompli tout ce qui était écrit de lui, ils l’ont descendu du bois de la croix et mis au tombeau. Mais Dieu l’a ressuscité des morts. » Dans l’histoire de la pensée, on a parfois oublié ce rôle du Père, laissant penser que le  Christ « s’était ressuscité » pour prouver sa divinité. Mais la divinité de Jésus ne peut être isolée. Elle est fondamentalement unie à celle du Père, comme le Nouveau Testament ne cesse de l’affirmer.

 

Ce livre d’heures de la fin du Moyen-Age offre une luxueuse méditation sur la Passion et la Résurrection de Jésus. Typique de la Devotio moderna alors en vogue, elle aide surtout à contempler la souffrance du Christ et à y compatir. Mais elle guide discrètement le fidèle vers la célébration de sa Résurrection.

 

Nous retrouvons tout le chemin de Jésus, depuis la trahison de Judas rappelée par les deniers épars en bas de la page, les instruments du supplice, l’échelle et les tenailles qui permirent de descendre le corps de la croix, jusqu’au tombeau, avec Marie et Jean en pleurs. La mort de Jésus n’est pas une illusion, mais une réalité. Réalité de l’histoire, réalité pour la foi.

 

C’est précisément la foi qui ouvre un chemin : le Père, représenté selon les codes de l’époque, en vieillard mitré vêtu de ciel, tire le Fils du tombeau l’attirant contre son cœur. Il souffle sur lui son Esprit de vie, comme jadis il le fit sur Adam. C’est le Père qui ressuscite Jésus par son Esprit, en une nouvelle naissance rappelant le psaume : « Tu es mon Fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Ps 2, 7)

 

Au matin de Pâques, le Père répond aux paroles  de Jésus, qui manifestaient  son lien de communion au Père.

Dans la Passion, le Père pouvait sembler avoir abandonné le Fils.

Dans sa résurrection, la mort devient vie, l’impasse devient un nouveau chemin, et la Vérité du Père uni au Fils dans l’Esprit resplendit à la face du monde.

 


 

TPC 51 - Le Baptême de Jésus

 

Bapteme de Jesus Caracciolo Bapteme de Jesus Caracciolo  Avec Giovanni Baptista Caracciolo (c. 1570-1637) Huile sur toile, 116 x 145 cm. Naples, Quadreria dei Girolamini

Dans sa prédication dans la synagogue d’Antioche, Paul fait mémoire de l’Histoire d’Israël comme préparation à la venue du Christ (Ac 13, 13-25). Il termine son discours en rappelant la figure de Jean le baptiste, ultime prophète, « préparant l’avènement de Jésus ».

Dans cette représentation du Baptême de Jésus toute en clair-obscur, Caracciolo gère subtilement la lumière pour exprimer l’identité profonde des deux personnages.

 

Le corps de Jean-Baptiste  est plongé dans l’ombre, sa tunique de peau de chameau presque aussi sombre que le fond. La lumière éclaire une partie de son visage et de son épaule droite, mais seul son bras gauche est entièrement illuminé, attirant notre attention sur la fine perche de roseau qui s’élève et dépasse l’espace de la toile. Il achève ici sa mission, s’approchant du Royaume que promet Celui qu’il baptise et gagnera au prix cruel de sa vie, précurseur de Jésus jusqu’au bout. C’est Lui qu’il regarde et nous désigne de sa main versant l’eau du baptême.

 

Jésus, humblement courbé, tête baissée, se manifeste humblement, Dieu descendu jusqu’à nous, comme l’Esprit qui descend sur lui, pure colombe aux ailes déployées.  La lumière frappe tout son corps, illuminant le linge blanc qui ceint ses reins, comme au jour de la croix. Sa poitrine bientôt transpercée éclate de lumière. En elle bat le cœur de Dieu. Le visage dans l’ombre, il contemple la paume de ses mains que nous devinons illuminée. Jésus vit de son lien au Père dont il reçoit tout. Les mains ouvertes, il contemple la lumière divine que l’Esprit lui révèle, accueillant le don du Père et la mission qu’Il lui confie.

 

« Dieu, selon la promesse, a fait sortir un sauveur pour Israël » (Ac 13, 23)

 


 

TPC 50 - La lumière du Monde

 

Lumiere du Monde Wh Hunt Lumiere du Monde Wh Hunt  Avec William Holman HUNT (1827-1910) 1853-1854. Huile sur toile, 125 x 60 cm. Oxford, Keble college. (une 2e version est conservée à la cathédrale St Paul de Londres)

Jésus s’écria : « Moi, je suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12, 46) C’est un des messages fondamentaux de l’Evangile de Jean, dès son prologue, qui inspire à Hunt cette œuvre très célèbre, « La Lumière du Monde ». Exposée  en Angleterre et à travers tout l’empire britannique, elle fut  l’objet d’un engouement sans précédent, à l’origine, dit-on, de nombreuses conversions. Pleine de mystère, aujourd’hui, elle peut nous surprendre.

 

En effet, s’il s’agit de lumière du Christ, elle est bien discrète ! Seules son auréole et la lanterne qu’il porte éclairent l’œuvre. On identifie le Christ à son visage conforme à l’iconographie habituelle, à ses pieds nus,  à sa longue tunique, à la  chape dont les broderies dorées reflètent la lumière, et à la couronne d’orfèvrerie, qui dans l’ombre se confond presque avec une couronne d’épines.

En revanche, sa lanterne  est étonnante. S’il est Lui-même la lumière, en quoi aurait-il besoin d’une flamme matérielle  et aussi banale ? Vitrée et ajourée comme un ciel étoilé, peut-être que celle-ci nous rappelle que le Christ ne cesse de rappeler qu’il ne vient pas au monde « de sa propre initiative, mais envoyé par le Père (…) » du Ciel dont il partage la sainteté, manifestée par son auréole.

Lumière mangée d’ombre, comme cachée, le Christ frappe à une porte : « Voici : je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte ; j’entrerai chez lui (…) » (Ap 3, 20)  Lui-même ne peut l’ouvrir : elle ne comporte aucune poignée. Il frappe simplement, l’oreille tendue pour saisir même la plus timide réponse. Il ne forcera pas la porte de cœur de l’homme.

Devant celle-ci, un obstacle grandit : des herbes folles, des ronces… fluides, légères, elles n’ont pas l’air bien dangereuses. Mais elles montent à l’assaut de la porte et si l’on ne fait rien, elles la cacheront et la rendront bientôt inaccessible. Ainsi le péché dans notre cœur, si l’on n’y prend garde.

Au fond, une forêt d’arbres aux troncs solides, droits,  blessés ou courbés, au bord d’un cours d’eau. Images de ceux qui ont accueilli la Parole du Seigneur, et se  fortifient grâce à Sa Lumière, au cours d’une vie parfois tortueuse mais bien enracinée.

 

Ainsi sont ceux qui ont ouvert leur porte au Christ, lui ont offert le repos dans leur maison et ont pris la route avec lui. Ils sont « comme des arbres plantés au bord des eaux, qui tendent leurs racines vers le courant : ils ne redoutent rien quand arrive la chaleur, leur feuillage reste vert ; dans une année de sécheresse ils sont sans inquiétude et ne cessent pas de porter du fruit. » (Jr 17, 8. cf Ps 1)

 


 

TPC 49.  Le Bon Berger

 

Avec Bruegel le vieux (c. 1525-1569), gravure, c. 1565.

Brueghel l'ancien Bon Pasteur Brueghel l'ancien Bon Pasteur  C’est un tumulte sans nom. Le M. Jourdain de Molière en dirait sans doute : « il y a du mouton  dedans ». Dedans, dehors, partout, Bruegel emplit sa page de brebis, ne laissant aucun espace vide. A l’arrière-plan elles sont agressées par des loups. Le berger de droite est prêt à s’enfuir, tandis que celui de gauche affronte courageusement la bête, en un combat à l’issue incertaine.

Au premier plan, au  centre, massive, une bergerie abrite un autre troupeau. Illusoire sécurité ! L’abri est attaqué de toutes parts par des voleurs massifs, violents et vulgaires.

La légende en latin attribue ces mots au Christ, représenté en bon berger :

« Pourquoi brisez-vous les côtés et le toit de ce refuge fait pour abriter mes brebis ? Pourquoi agissez-vous comme le font les loups et les voleurs ? »

En d’autres termes, il pose la question du mal qui frappe le troupeau, se gardant bien d’y répondre mais agissant pour le sauver.

Seul élément stable de la composition, le Christ mène son troupeau hors de la bergerie devenue dangereuse, alors qu’il leur dit, toujours selon la légende : « Séjournez ici en toute sécurité, pénétrez sous ce toit, car je suis le bon pasteur et ma porte est largement ouverte. »

Que de paradoxes ! Un refuge  aussi dangereux que le plein air. Où trouver un refuge sûr ? Le linteau de la porte donne la réponse « je suis la porte des brebis. »

Le danger est partout. Il n’y a pas d’abri sûr pour le troupeau.  Pas de toit pour se cacher ou se reposer.

Seule la proximité du Christ peut le sauver. Il est d’ailleurs le seul berger que les brebis regardent et suivent, « parce qu’elles écoutent sa voix, qu’Il les connaît » (cf Jn 10, 27).

C’est une sécurité au risque des chemins du monde, qui n’est pas liée à un lieu, mais repose uniquement sur le lien de confiance établi entre le berger et son troupeau. Seule cette suite du Christ peut nous apporter la Vie éternelle. Il ne nous invite pas à bêler paisiblement dans un enclos ou une bergerie. Il nous invite à l’aventure à sa suite, une sorte de pâque permanente, d’exode de chaque jour.

 

Saurons-nous quitter nos fausses sécurités pour ne trouver notre abri que dans le Seigneur Jésus ?

Avons-nous assez de cette confiance pour croire que Lui seul, uni au Père, peut nous donner la vie éternelle, et qu’en le suivant, jamais nous ne périrons, personne ne nous arrachera de sa main ? (cf Jn 10, 28)

 


 

TPC 48 -  Le Paradis Terrestre

 

Creation d'Eve au paradis terrestre Bruegel le jeu Creation d'Eve au paradis terrestre Bruegel le jeu  Avec Bruegel le jeune (1601-1678) c. 1630, huile sur cuivre, Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie

 

Tout est paisible en ce premier matin du monde. Les plus redoutables animaux sauvages, lions et léopards, n’effraient nullement écureuils et lapins ; pas de jalousie entre l’âne contrefait et le fier cheval. Animaux de nos contrées et oiseaux exotiques aux mille couleurs sont rassemblés pour un improbable portrait de groupe. Le paysage participe à cette harmonie initiale : de beaux arbres déploient leur fière ramure et les fleurs les plus rares forment de gracieuses et éclatantes compositions. L’horizon bleuté  se dévoile  paisiblement, sous un ciel délicatement nuancé. C’est dans ce paradis que Dieu, nimbé de lumière, coiffé d’une mitre et vêtu de pourpre, donne vie au couple primordial (Gn 2, 21-22)

Tout ici est peint pour nous rappeler que Dieu a voulu une Création bonne et même « très bonne » (cf Gn 18-23). Tout, ou presque. Un arbre est brisé et son tronc gît au sol, blessure discrète au milieu de ce tableau idyllique, comme l’annonce d’un péril imminent, celui du péché.

Le mal, devenu si puissant, nous fera-t-il oublier le projet de Dieu, dans toute sa pureté ? L’arbre cachera-t-il la forêt ?

 

Le passage du Livre des Actes que nous lisons aujourd’hui (Ac 11, 1-18) nous raconte la vision de Pierre à Jaffa : une grande toile descendue du ciel, contenant tous les animaux  de la Création, que Dieu lui ordonne de sacrifier et de manger. Pierre, et avec lui, toute l’Eglise naissante, est face à une question essentielle : les chrétiens doivent-ils conserver les repères de pureté et d’impureté donnés par la loi de Moïse ? Faut-il les imposer à tous les convertis, même ceux provenant d’autres cultures religieuses ?  Ou cette distinction doit-elle être entièrement repensée à la lumière du Christ, venu révéler le dessein d’amour du Père, et vainqueur du mal  et du péché?

Elément central de réponse, l’Evangile de Matthieu rapporte cette parole du Christ « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de sa bouche. Voilà ce qui souille l’homme » (Mt 15, 11)

C’est ce que Pierre entend à nouveau, pendant la vision de Jaffa : « Ce que Dieu a déclaré pur, toi, ne le déclare pas interdit. »

Dans le Christ, nous sommes invités à fixer notre regard sur  le projet de Dieu, sur la grandeur de son amour qui est de toujours (Ps 24).  Le Christ nous révèle le vrai combat contre le péché : celui qui se joue dans le cœur de l’homme, et non dans la Création divine.

 


 

TPC 23 - Le Bon Pasteur

 

bon pasteur Claire bon pasteur Claire  Avec Sr Claire, Yolaine Schmeltz, 2019,  huile sur toile, 60 x 80 cm. Coll. part.

 

Face à nous, le Christ, saisi à mi-corps, occupe presque tout l’espace de la toile. Tenant une brebis dans les bras, il  émane de Lui une autorité adoucie par l’inclinaison de sa tête et les boucles de ses cheveux librement répandues sur son épaule.

Sa bouche esquisse un sourire encourageant et ses yeux francs, un peu trop grands, expriment avec intensité son désir de nous rencontrer, de nous connaître et de pouvoir nous appeler par notre nom.

Ses mains, un peu trop grandes elles aussi, mettent en valeur la délicatesse de son geste qui soutient la brebis et la retient contre son cœur sans la contraindre.

Face à face, en toute liberté, nous sommes invités à nous laisser guider par le Christ comme un troupeau conduit par son berger.

Le thème du Bon pasteur a été illustré abondamment, lui faisant perdre parfois sa force au profit d’une imagerie mièvre à force d’être douce.

 « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». (Jn 15, 13)

L’unique bon berger est Celui qui donne sa vie pour ses brebis, calice d’or et de sang offert pour le Salut du monde, et dont son vêtement  dessine la forme.

L’unique bon berger est Celui qui va jusqu’à la Passion et  jusqu’à la croix semée sur sa tunique comme une volée de blé prêt à germer.

Rien de mièvre dans la douceur du Seigneur Jésus. Au contraire, elle est une force capable de nous arracher à la nuit du péché et  de la mort dont le bleu sombre est étouffé sous les chaleureuses teintes de pourpre et d’or.

La figure du Christ s’inscrit sous un porche aux colonnes solennelles soutenant un fronton de temple. Il est le Temple nouveau, porte d’or fin ouverte sur le Royaume de Dieu : humble berger, il s’avance vers nous, plein du désir de nous offrir la vie en abondance.

 

A sa suite, soyons humbles visages de douceur et de réconfort, portes ouvertes sur la Vie Eternelle, donnons de notre vie pour que tous vivent.

Sans se lasser, il pose les yeux sur nous,  impatient de nous  guider vers le Royaume promis.

www.yolaineschmeltz.weebly.com


 

TPC 22 - La résurrection de Tabitha (Ac 9, 31-42)

 

Masolino Tabitha Masolino Tabitha  Avec Masolino(1383-c.1447) 1423-1426,  fresque, 260 x 340 cm, chapelle Brancacci, église Sta Maria del Carmine, Florence.

Pour représenter la résurrection de la veuve Tabitha,  Masolino transforme la ville de Jaffa en Florence de son époque, avec ses hautes maisons et ses bourgeois vêtus de riches étoffes. Le procédé est courant et permet à l’artiste de représenter la société contemporaine et le milieu des commanditaires, tout en donnant à l’épisode biblique une actualité qui traverse les siècles.

Les Actes des apôtres racontent comment Pierre est rappelé à Jaffa, auprès de la défunte. L’action est située dans la chambre haute d’une maison, que Masolino préfère situer de plain pied avec la place pour préserver la cohérence de sa fresque, structurée en frise parfaitement lisible. Comme Giotto l’avait initié quelques décennies plus tôt, l’artiste nous permet de voir l’intérieur de la maison en évidant les murs, travaillant sa perspective pour donner plus de profondeur à l’œuvre.

Tabitha est sur un lit, veillée par d’autres veuves qui ont procédé à la toilette funèbre. Elles présentent à Pierre « les tuniques et les manteaux » que Tabitha confectionnaient avec elles. En effet, elle « était riche des bonnes œuvres et des aumônes qu’elle faisait ».

Pierre, à l’extérieur, contrairement au récit des Actes, se tient droit, bénissant de la main. Il est accompagné par un autre disciple qui le regarde, comme lui-même le faisait avec Jésus : la transmission de la foi commence à peine, mais ne s’arrêtera pas.

Autour de Tabitha presque liée dans son linceul, on trouve en plus des deux veuves, trois hommes dont les gestes expriment la stupeur. La scène semble calquée sur celle de la résurrection de Lazare, où Jésus, debout, hors de l’espace du tombeau,  ressuscite son ami par une parole.

C’est ce que fait Pierre : « Tabitha, lève-toi » lui dit-il. « Elle ouvrit les yeux, et, voyant Pierre, elle se redressa et s’assit. » C’est la parole, à nouveau qui redonne vie.

 

Les Actes insistent sur la portée évangélisatrice des miracles opérés par les apôtres à la suite de Jésus, en imitation de Jésus.

A travers les siècles ils nous invitent à répéter pour nos contemporains les attitudes, les gestes et les paroles du Christ qui peuvent susciter la foi et  redonner vie.

 


 

TPC 21 La Conversion de St Paul (Ac 9)

 

Conversion Paul Blake Conversion Paul Blake  Avec William Blake (Londres 1757-1827) c. 1800-1805. Dessin aquarellé, 41 x 36 cm. The Huntington Art Museum

Esprit religieux et mystique, créateur d’un univers fantastique dérivé de la Bible et de traditions païennes, William Blake est un artiste des plus étonnants. Malgré son syncrétisme évident, son œuvre religieuse se révèle pourtant parfois riche de sens chrétien.

Blake met en scène la conversion de Saul dans un climat fantastique peuplé de formes étranges aux teintes jaunes ou bleutées, desquelles émergent la figure de Saul sur son cheval et de Jésus lui apparaissant.

Les Actes des Apôtres précisent que Saul était animé « d’une rage meurtrière » envers les disciples du Christ. Pour l’exprimer, les artistes eurent souvent recours à l’univers militaire. Les formes bleu sombre hérissées de piques sont des soldats armés de lances. Projetés à terre comme ceux qui gardaient le sépulcre, ils sont impuissants face à l’apparition divine.

Le cheval, absent du texte, mais courant dans l’iconographie car il permet d’amplifier le mouvement de chute de Saul, est ici étonnamment calme, comme agenouillé. Ce n’est pas l’animal fougueux et affolé peint par tant d’artistes. Il ressemble plutôt à l’ânesse de Balaam, au livre des Nombres, qui se coucha devant l’ange du Seigneur, qu’elle avait reconnu avant son maître. (Nb 22, 27)

Car il s’agit bien de cela : faire reconnaître à Saul qui est vraiment ce « Jésus qu’il persécute ». Enveloppé d’une « clarté venant du ciel », celui-ci apparaît au cœur d’une nuée d’anges toute en lignes arabesques. Son corps épouse ces lignes serpentines. Seul son visage et ses bras sont dessinés précisément, car ils expriment la parole que Jésus adresse à Saul. D’une main, il le désigne, sans dureté. De l’autre, il lui ouvre un chemin, il l’envoie, vers la ville, bien sûr, mais surtout vers le monde entier. Ses yeux plongent dans ceux de Saul, bouche bée. Cet échange de regards semble ne pas pouvoir s’interrompre. Dans l’Ancienne Alliance, voir Dieu entraînait la mort. Ici, dans la Nouvelle Alliance scellée dans le Christ, le contempler est source de vie. Pendant trois jours, Saul, aveugle, connaîtra quelque chose de la nuit du tombeau. Dans le baptême, il ressuscitera pour une vie nouvelle consacrée à l’Evangile qu’il avait d’abord combattu.

En un instant, Paul a compris l’essentiel : pour être disciple du Christ, il faut plonger son regard dans le sien, toujours, souvent, pour y puiser force et réconfort. Il faut s’ouvrir à sa grâce de tout son être, jusqu’à celle de la croix qu’il dessine de ses bras ouverts comme les ailes d’un oiseau retrouvant sa liberté.


 

TPC 20 - Le baptême de l’eunuque (Ac 8, 26-40)

 

eunuque Bertin eunuque Bertin  Avec Nicolas Bertin (1668-1736) 1718, huile sur toile, 92 x 73 cm. Paris, musée du Louvre.

L’œuvre définitive, en grand format, est conservée dans l’église St Germain des prés

Philippe fut envoyé sur la route de Gaza, à un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, reine d’Ethiopie. Celui-ci, sur son char lisait le prophète Isaïe. En l’écoutant, Philippe lui demanda s’il comprenait le passage qu’il lisait. L’eunuque répondit qu’il avait besoin d’être guidé pour découvrir le sens de l’Ecriture et invita Philippe à s’assoir avec lui. Il lisait alors ces versets : « Comme une brebis, il fut conduit à l’abattoir ; comme un agneau muet devant le tondeur, il n’ouvre pas la bouche. Dans son humiliation, il n’a pas obtenu justice. Sa descendance, qui en parlera ? Car sa vie est retranchée de la terre. » (Is 53, 7ss) A qui s’appliquent ces versets ? Qui annoncent-ils ? demande l’eunuque. Et Philippe, « à partir de ce passage, lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus » L’eunuque demanda alors le baptême. C’est la scène que représente Nicolas Bertin.

Dans un décor de défilé rocheux quelque peu désertique, une impressionnante escorte se déploie à l’arrière plan : chevaux, chameaux, char somptueux, soldats en armes, serviteurs coiffés de plumes… le cortège est à la hauteur de la puissance de ce haut fonctionnaire. Mais celui-ci a quitté son char et sa suite. Nous dirions aujourd’hui «qu’il a quitté sa zone de confort. » En agissant ainsi, il manifeste que l’échange avec Philippe lui a permis de comprendre qui est le Christ, manifesté aux hommes dans l’humilité de la condition humaine, « ne retenant pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » ( Ph 2, 6)

Le livre des Actes, et Nicolas Bertin à sa suite, déploie une véritable catéchèse baptismale : tout a commencé en ouvrant le livre, que l’eunuque a posé sur un rocher devant lui. Il s’est alors aperçu qu’il ne pouvait cheminer seul dans la compréhension de l’Ecriture. Philippe lui est envoyé par le Seigneur comme le nécessaire compagnon, témoin de la foi en Jésus. Délaissant alors les prérogatives de son rang, il l’invite à s’assoir auprès de lui.

Alors, parce que l’Ecriture a pris sens et vie pour lui, le baptême devient possible. Pour le recevoir et le vivre, l’eunuque nous montre le chemin : il faut se dépouiller. Quitter les soies et les plumes de notre orgueil et nos défenses bien armées. Se reconnaître vêtu et pétri de terre, fils d’Adam, modelé par Dieu à l’aube de la Création, et criant vers Dieu son besoin d’être sauvé.

Alors, dans l’eau du baptême, nous recevons la robe nuptiale, éclatante de blancheur. Alors le ciel vers lequel Philippe se tourne s’ouvre dans notre vie.

Dans le désert, des palmiers pleins de vie s’agitent avec souplesse. La vie du baptisé est transformée, vivifiée, assouplie, sauvée par l’œuvre de l’Esprit.


 

TPC 19 - François d’Assise réconforté par un ange

 

Ribalta-san_francisco-prado Ribalta-san_francisco-prado  Avec Francisco Ribalta (1565-1628 Valence), huile sur toile, 204 x158 cm. Madrid, musée du Prado

 Sur une humble planche, François cherche le sommeil. C’est la nuit, une nuit obscure que les flammes à son chevet et apportée par un frère ne parviennent pas à dissiper. L’attitude corporelle de François traduit bien l’insomnie qui le torture, le rendant incapable de trouver le repos ou d’ouvrir le livre des Ecriture posé à ses côtés.

Le fardeau de François est lourd : stigmatisé, il souffre des souffrances mêmes du Christ devant le péché et la mort qui blessent le monde. Sa méditation est douloureuse comme le bois de la croix sur les épaules de son Seigneur que le crucifix, à la tête de la pauvre couchette, lui rappelle sans cesse.

Car François a choisi la suite du Christ, offert comme l’agneau du sacrifice. Pour lui et pour ses frères humains, il a tout quitté, s’abandonnant à la grâce, mains ouvertes, regard fixé sur le ciel. Le Christ lui-même reconnaît l’authenticité du don de François, marqué de ses blessures, offert comme lui sur une couverture à la blancheur de linceul et de corporal qu’un petit agneau semble vouloir escalader pour se blottir contre François.

Sans dissiper encore toute la ténèbre du monde, Dieu se révèle à François « lumière en qui il n’y a pas de ténèbres » (1 Jn 1, 5), lui prodiguant le réconfort nécessaire pour poursuivre la route. Illuminé, réchauffé par une lumière crue venue du ciel et traversant l’espace clos de sa cellule, il goûte les délices d’un concert prodigué par un ange plein de  souffle, de couleurs et de vie qui le regarde avec bienveillance.

Voilà le message d’espérance du Seigneur Jésus à ceux qui souffrent : «  Venez à moi, vous tous qui peinez  sous le poids du fardeau, et moi je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme » (Mt 11, 30)

Réconforté par le Seigneur dans son combat, François nous le rappelle.

 


 

TPC18  Etienne (2e partie) (Ac 6)

 

Etienne002 Etienne002  Etienne004 Etienne004  Avec Pierre-Paul Rubens (1577-1640) c. 1617. Huile sur bois. Triptyque ouvert : 437 x 530 cm. Valenciennes, musée des Beaux-Arts

Relégués à l’arrière-plan, le Temple et les docteurs de la loi n’ont plus d’importance. Ce n’est plus le temps de la controverse. C’est le temps de la violence, d’un combat entre la vie et la mort, ordonnées selon deux diagonales parallèles.

En bas, les couleurs sont  saturées, agressives,  comme les pierres jetées pour tuer Etienne. Les corps dénudés mettent en valeur des musculatures forcées : ici seule la force physique importe.

Saisi dans ce mouvement de violence, Etienne, rayonnant de lumière bien que déjà blessé, s’en échappe par le regard. Selon le texte des Actes, il n’est pas seul à affronter la mort : « Rempli de l’Esprit-Saint, il fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu »

Faisant le lien entre la vision glorieuse et Etienne, des anges aux teintes adoucies descendent vers lui. Peut-être s’agit-il des mêmes qui jadis avaient offert la loi de Dieu au peuple ? ( cf Ac 7, 53) Mais c’est au nom de cette loi divine instrumentalisée qu’Etienne est mis à mort, et les anges sont toujours messagers de la vie divine : ignorant maintenant les docteurs de la loi, c’est à Etienne qu’ils apportent les palmes et les couronnes des vainqueurs et des martyrs. Il meurt, mais pour entrer dans la vie éternelle.

Ses dernières paroles renvoient à celles du Christ : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit » et « ne leur compte pas ce péché »

Ses vêtements en tas, nouvelle allusion à ceux du Christ en croix, sont saisis par un homme qui, sans lancer de pierres, semble désigner Etienne à la vindicte publique. « Approuvant ce meurtre », Saul, le futur Paul, s’empare sans le savoir encore des vêtements du serviteur qu’il revêtira bientôt.

« Etienne s’endormit dans la mort. (…) des hommes dévots l’ensevelirent et firent sur lui de grandes lamentations »

Le dernier panneau  du triptyque ouvert présente ce temps silencieux des funérailles, après celui des cris meurtriers. Et Rubens manifeste que jusque dans sa mort, Etienne imite le Christ. Maîtrisant parfaitement les compositions de ses célèbres Descentes  de Croix et Mise au Tombeau, il les reprend. L’effet de descente verticale est accentué par l’étroitesse du panneau. Le corps d’Etienne, vêtu de blanc comme un baptisé, est descendu, retenu par deux hommes aux allures de Nicodème et Joseph d’Arimathie et par un porteur torse nu. Pour le pleurer, l’apôtre Jean, en bleu, et des femmes : Marie mère de Jésus, au visage affligé happé par l’ombre de son manteau sombre. Madeleine aux blonds cheveux, qui préserve les vêtements du défunt, d’autres encore, derrière. Tous les acteurs traditionnels de la sépulture de Jésus sont présents. En bas, deux marches de pierre répondent à celles du 1er panneau, sur lesquelles Etienne se tenait pour prêcher. La vie et la mort d’Etienne sont un seul mouvement à la suite du Christ, participation à sa mission, à sa mort et à sa résurrection glorieuse.


 

TPC17  Etienne (1ère partie) (Ac 6)

 

Martyr de Saint Etienne Rubens Martyr de Saint Etienne Rubens  Martyr de Saint Etienne de Rubens Martyr de Saint Etienne de Rubens  Avec Pierre-Paul Rubens (1577-1640) c. 1617. Huile sur bois. Triptyque ouvert : 437 x 530 cm. Valenciennes, musée des Beaux-Arts

 

Le récit de la mission et de la mort d’Etienne dans les Actes des apôtres est long et l’œuvre que Rubens y consacre est immense. Comme la liturgie, nous y consacrerons deux jours. Etienne, « homme rempli de foi et d’Esprit-saint » (Ac 6, 5) est un des sept hommes choisis par les apôtres pour devenir ceux qu’on nommera diacres. Les Actes mentionnent qu’aussitôt, Etienne « opérait de grands prodiges et signes parmi le peuple », formule qui rappelle indéniablement celles employées par les évangélistes pour parler de Jésus. Etienne vit sa mission dans la suite du Christ, et comme lui, il rencontre des résistances.

 

Vêtu d’une somptueuse dalmatique, l’habit liturgique des diacres, Etienne est représenté en orateur, trois marches lui servant de tribune. Sa tête est nue, son visage nimbé est « comme celui d’un ange ». Son geste exprime son éloquence et désigne les hautes colonnes du temple. Comme Jésus, il affirme que le temps du Temple est terminé : « Le Très-Haut n’habite pas dans des demeures faites de mains d’homme » Comme Jésus, il affirme que la loi de Moïse est entièrement renouvelée, revivifiée en la personne du Messie, verbe de Dieu fait chair. Comme Jésus, il n’hésite pas à  s’opposer fermement aux docteurs de la loi : « Vous qui aviez reçu la loi sur ordre des anges, vous ne l’avez pas observée, vos oreilles sont fermées à l’Alliance, vous résistez à l’Esprit-Saint » Comme ceux de Jésus, ses propos suscitent l’opposition : le grand prêtre vêtu de bleu et les spécialistes de l’Ecriture, dont la coiffe s’orne des phylactères, Paroles de la Torah, le cernent. Ils sont comme  engoncés dans de larges drapés, la tête couverte, enfermés dans leurs habits comme dans leur vision de la Loi. Leurs visages sont violents comme ceux des bourreaux du Christ, et ils emploient les mêmes faux-arguments : « nous l’avons entendu affirmer que ce Jésus, le Nazaréen, détruirait le Lieu Saint et changerait les coutumes que Moïse nous a transmises ».

 

Etienne continue son discours, paisible. Il sait que la mission de Jésus l’a conduit à la mort. La Passion de Jésus est achevée, celle d’Etienne commence.


 

TPC16 - « Il leur ouvrit les Ecritures »

 

image protegeeAvec Arcabas (1926-2018) cycle d’Emmaüs, 1993-1994. Huile sur toile, 1x0,5 m. Torre de Roveri, chapelle de la Résurrection. ​

La toile immaculée et pure est comme barbouillée d’une masse bleu sombre teintée de marron et de noir. Un ciel d’or perce cette masse bourbeuse et la pénètre, guidée par une croix.

Le terreau sombre est constellé de lettres, plus ou moins visibles, allant du noir au bleu le plus vif. Sans ordre ni logique, elles ne disent rien. Aussi confuses que certains passages de l’Ecriture, pris isolément. Inscrites dans la pâte humaine, les Ecritures en expriment toutes les turpitudes : la complexité de l’homme blessé par le péché, sans cesse tenté par les idoles et la toute puissance.

Voilà une triste vision… une humanité créée dans la pureté et comme happée par la nuit du péché. Quelques lettres éparses suffiront-elles à lui rendre l’espérance, à la guider vers cet horizon d’or divin, éclatant de gloire ? La ligne d’horizon qui sépare l’humanité de la divinité est brisée, hérissée de tentatives de se rejoindre, mais sans jamais y parvenir.

Mais l’espérance surgit : puisque l’humanité peine à s’élever vers Dieu, Dieu choisit de s’abaisser. De plonger sans peur dans l’humanité en la personne de Jésus. Son passage illumine l’humanité et bouscule les lettres mortes de l’Ecriture pour leur donner une vie nouvelle.

La gloire divine passe par la croix, et c’est ce que Jésus ressuscité explique aux deux disciples avec qui Il marche sur le chemin d’Emmaüs : « ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26) Sa croix est peinte de la même pâte terreuse que l’humanité dans laquelle il descend. Et le sillage d’or de son passage est comme cerné du plus noir péché.

Mais le mal ne parvient pas à empêcher le Seigneur de rendre la vie à sa Création, comme les Ecritures le promettent. La croix aux formes souples est pleine de vie. Le passage d’or dessine une timide montée de  la pâte terreuse vers l’horizon.

La résurrection ordonne toute l’histoire du peuple de Dieu et manifeste la façon d’agir du Seigneur : « le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes, reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté… » (Ph 2, 6-9)

En plongeant au cœur de l’humanité, le Christ l’entraîne vers la gloire divine.

 


 

TPC 15  - L’Ascension

 

ascension Perugin Lyon ascension Perugin Lyon  Avec Le Pérugin (c. 1445-1523) 1496. Huile sur toile, 3,25 x 2,65 m. Lyon, musée des Beaux-Arts

Les Evangélistes situent l’Ascension à des moments différents. L’Evangile du jour nous amène à la contempler avant la fête liturgique.

 

Pérugin, maître du célèbre Raphaël, élabore une composition très lisible, au dessin précis et aux couleurs nettement différenciées. Ses personnages, idéalisés, sont empreints de douceur.  L’œuvre est divisée en deux espaces bien distingués : le monde céleste que le Christ rejoint, et le monde terrestre.

Dans le ciel d’un bleu éclatant, la joie  est exprimée par les anges musiciens et le mouvement volant des drapés, des ceintures et des phylactères. Au centre, une mandorle double entoure la figure du Christ. Signe de manifestation divine et de vie,  elle est peuplée de séraphins à six ailes qui, normalement, entourent le trône céleste. Jésus désigne le ciel de ses mains, geste repris par les deux anges qui volent gracieusement de part et d’autre de la mandorle.

 

« Le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel » (Mc 16, 19) S’élevant vers la droite du Père, il regarde pourtant vers la terre. Son incarnation n’est pas une parenthèse dans son éternité divine. Les stigmates bien visibles l’attestent. Il regagne la Gloire divine avec son humanité, ouvrant une espérance nouvelle pour tous les hommes.

Ceux-ci le regardent s’élever, l’adorent, s’interrogent et nous interrogent du regard, car le mystère est grand. Pierre se cache les yeux, comme Moïse au Sinaï ou comme au jour de la Transfiguration, ébloui par la gloire divine. Tous sont droits, statiques, les pieds à peine décalés, selon les canons antiques alors redécouverts.

Le groupe des disciples entoure Marie, sans la toucher. Mise en valeur, elle est placée juste sous la mandorle qui effleure sa tête. Elle est celle qui a recueilli au plus intime de son être le Fils divin, sous l’ombre de l’Esprit. Elle est la première à avoir reçu la vie divine, et sera la 1ère à monter au ciel à la suite de son fils.

 

Dans l’iconographie post-pascale, Marie,  confiée à Jean par Jésus, prend souvent une place centrale dans le groupe des disciples. Autour d’elle, le groupe des apôtres est plus étonnant. On y trouve Paul, en pendant de Pierre, et Thomas, successeur de Judas. Or, le choix de Thomas et la conversion de Paul sont postérieurs à l’Ascension. L’Evangile de Marc précise même que cela se produit uniquement en présence des onze apôtres.  Erreur chronologique ou choix riche de sens ? Les dernières paroles de Jésus avant de s’élever dans le ciel appellent les apôtres à « aller dans le  monde entier pour proclamer l’Evangile à toute la création » (Mc 16, 15). Paul, « colonne »  de l’Eglise naissante avec Pierre, et Thomas se donneront entièrement à cette mission. Avec les onze, ils ne partent pas encore sur les routes du monde. La force de l’Esprit de Pentecôte leur en donnera le courage.

 


TPC 14  La multiplication des pains

 

Strozzi Strozzi  Avec Bernardo Strozzi (1581-1644)  c. 1630. Huile sur toile, 1,8 x 1,4 m. Moscou, musée Pouchkine

 

Un jeune homme vêtu de rouge et de bleu et un vieil homme dégarni ont une discussion animée. Leur désaccord est évident. Tous deux ont leurs partisans. L’artiste les a ordonnés selon deux lignes parallèles : à gauche, trois plus jeunes, à droite trois plus vieux. Quel est l’objet du débat ?

 

C’est au chapitre 6 de l’Evangile de Jean (1-15) qu’on trouve le récit de la multiplication des pains, sujet de l’œuvre. Alors qu’il est avec ses disciples, Jésus voit une foule, estimée à 5000 hommes, s’approcher de lui. Il leur demande comment les nourrir. Philippe lui répond que c’est impossible, car cela demanderait une somme considérable. André, frère de Pierre, renchérit : au mieux, un jeune garçon a cinq pains et deux poissons. Autant dire rien.

Mais Jésus reste calme. Ces modestes présents suffiront pour nourrir la foule en abondance.

L’artiste s’intéresse à la discussion qui précède le miracle. Nous sommes la foule. Pierre, au premier plan à droite, nous désigne. Pragmatique, entier, vif, il est énervé. C’est tellement évident qu’il est impossible de nourrir une foule avec si peu ! Derrière lui, André, sans doute, inspecte le contenu de la corbeille, dubitatif. Au loin, Philippe observe. Son opinion est faite : C’est impossible de nourrir une telle foule, et l’attitude de Jésus l’agace. Il se renferme, sûr d’avoir raison.

Sur le côté gauche, nous sommes aussi désignés : en un superbe raccourci, Strozzi peint la main de Jésus pour manifester son intérêt, sa pitié peut-être, pour la foule affamée. Il est le centre de l’attention de ceux qui l’entourent : à l’arrière plan, Jean, réputé être son plus proche disciple, et devant lui, au centre de l’œuvre, le jeune garçon. Celui-ci  lève les yeux vers Jésus. La bouche entrouverte, il vient de proposer sa pauvre offrande.  Et son regard est à la fois suppliant et confiant. C’est lui qui apporte quelque chose, et il semble pourtant tout attendre de Jésus. Frères, ils sont peints de la même carnation lumineuse, comme pour souligner une  commune disposition d’esprit.

Les disciples, à droite, ne comprennent pas. Ils sont dans le doute. Etrangement d’ailleurs, le repas miraculeux terminé, l’Evangile mentionne la foi de la foule, mais ne parle pas des disciples.

Le jeune garçon, d’emblée, a adopté l’attitude juste, qui pourrait bien susciter la louange de Jésus : « je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents, et de l’avoir révélé aux tout-petits. » (Lc 10, 21)

 

Contempler le Seigneur Jésus, lui offrir ce que nous avons pour le service des autres, en espérant tout de Lui, voilà ce que le jeune garçon de l’Evangile nous apprend, sous le pinceau de Bernardo Strozzi.


 

TPC 13 - La Compassion du Père

 

Colijn de Coter Compassion du Père Colijn de Coter Compassion du Père  Avec Colijn de Coter (1450-55 – 1539-40) c. 1510-1515. Huile sur bois, 1,7 x 1,2 m. Paris, musée du Louvre

Le XVe siècle voit se développer dans toute l’Europe la Devotio Moderna, spiritualité centrée sur la compassion envers le Christ souffrant. C’est dans ce contexte que l’ancien thème du Trône de Grâce évolue vers celui de la Compassion du Père.

L’Evangile d’aujourd’hui (Jn 3, 31-36) nous rappelle que le Christ est « celui qui vient d’en haut ». En représentant Dieu le Père en majesté entouré d’anges, l’artiste exprime cet « en haut », ce monde divin pourtant irreprésentable. Le Fils, dans les bras du Père, est donc de condition divine. Il l’est au-delà de sa Passion, rappelée par les anges qui en tiennent les instruments les plus blessants : la croix, les clous et la lance qui perça le côté. Il l’est, au-delà de sa mort : cadavérique, il montre pourtant la plaie de son torse. C’est un homme, et c’est un Dieu ; c’est un mort, et un vivant.

Jean donne l’explication de la condition mystérieuse de Jésus : « le Père aime le Fils ». Assisté d’un ange qui retient le poids du corps, les mains couvertes d’un voile huméral, le Père, le visage triste, tient contre lui le corps de son Fils dont il préserve la pudeur. La composition est proche de celle de la Pieta, image de Marie portant le corps mort de son Fils. Dieu est éploré comme l’est Marie. Eploré, mais droit et souverain.

Le regard fixé sur nous, comme celui de l’ange en bas à droite, le Père fait appel à notre compassion. On peut mettre sur ses lèvres les paroles du Livres des Lamentations que la Tradition met sur celles de Marie : « Voyez s’il est une douleur pareille à la douleur qui me tourmente » (Lm 1, 12)

Mais l’œuvre, à l’instar de l’Evangile, guide notre contemplation au-delà de la compassion et de la douleur : « Dieu lui donne l’Esprit sans mesure » La blanche colombe, éclatante de vie, est ce lien d’amour qui unit le Père et le Fils, amour qui nous est offert comme chemin de vie divine,

Homme de chair, Jésus est du ciel.
Passé par la mort, Il est vivant.
Parce qu’Il est le Fils Bien-aimé.
Soyons du Ciel, soyons vivants, accueillons l’amour du Père.

 

TPC 12.  La libération des apôtres

 

liberation des apotres. M. Van Heemsckerk liberation des apotres. M. Van Heemsckerk  Avec Martin Van Heemskerck (1498-1574), c. 1573. Gravure, 21 x 26 cm. Lyon, bibliothèque municipale

Dès le début de la  prédication des apôtres après la Pentecôte,  ceux qui avaient réussi à faire tuer Jésus parviennent à les emprisonner.  Le livre des Actes relate comment « pendant la nuit, l’ange du Seigneur ouvrit les portes de la prison et les fit sortir » (Ac 5, 19)

 

Van Heemskerck entreprit une vaste série de gravures illustrant les Actes des Apôtres. Sa mort l’empêcha de mener le projet à son terme. Pour chaque gravure, grâce à des compositions en frise et des perspectives précises, le thème est très facile à identifier, sans même recourir à la légende en latin qui l’accompagne. Fin lettré, esprit subtil et religieux, Van Heemskerck ne se limite pas à représenter l’épisode : il en déploie le sens par des allusions en images.

 

L’ange du Seigneur entraîne les douze hors de la prison dont on aperçoit la porte. On ne saurait coller plus au texte. Pourtant, Van Heemskerck place deux autres images dans l’image.

 

En multipliant les soldats, certes mentionnés par les Actes, en les représentant endormis, en imaginant une prison quasiment souterraine, l’artiste rappelle  de façon évidente  les représentations de la Résurrection de Jésus.

 

Par la représentation de la porte, par l’attitude de l’ange tenant, tirant presque Pierre par la main, Van Heemskerck évoque la très ancienne représentation du Christ tirant Adam et Eve des enfers, suivis de l’humanité jadis prisonnière de la mort.

C’est par ces citations picturales que l’artiste transforme la libération miraculeuse des apôtres en Pâque, en résurrection à la suite du Christ.

 

Le livre des Actes  poursuit : « l’ange leur dit « Partez, tenez-vous dans le Temple et là, dites au peuple toutes ces paroles de vie » » A nouveau, l’image est particulièrement fidèle au texte : l’ange désigne  le temple vers lequel le peuple se presse. Van Heemskerck, fin connaisseur de Rome, lui donne la forme du Panthéon. A nouveau, il glisse un indice porteur de sens : selon les Actes, il s’agit d’une scène nocturne. Pourtant, près du Temple, un soleil déploie généreusement ses rayons, Lumière de résurrection, lumière de la parole que les apôtres sont chargés de transmettre, « lumière du Christ » comme nous le chantons par trois fois pendant la nuit de Pâques.

 

Le Seigneur rend la liberté et la vie aux apôtres pour les envoyer en mission. C’est le sens du baptême : à la suite des apôtres, nous sommes invités à nous laisser libérer et ressusciter par le Christ, « lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1, 9) et à être signes de sa présence au monde endormi dans la nuit.

 


 

TPC 11 - Le serpent d’airain

 

Avec Orazio Riminaldi (1593-1630) 1625. Huile sur toile, cathédrale de Pise

Riminaldi serpent d'airain Riminaldi serpent d'airain  L’épisode est de sinistre mémoire. C’est au livre des Nombres  (21, 4-9) qu’on en trouve le récit : le peuple, lassé des épreuves de l’Exode,  en rend le Seigneur responsable et récrimine contre Lui. Celui-ci leur envoie des serpents brûlants à la morsure mortelle. Orazio Riminaldi les représente, tombant du ciel. Pourtant, ils attirent peu notre attention, focalisée par l’impressionnante figure de l’homme luttant contre un serpent gigantesque, inspirée du célèbre Laocoon antique des collections pontificales. L’artiste construit son œuvre en trois zones triangulaires. L’espace inférieur droit est celui de la mort. Il pourrait rivaliser avec les représentations de damnés dans les Jugements derniers : cadavres et corps enchevêtrés,  musculeux, happés par l’ombre, sur un fond de rochers aux allures de porte infernale. Parmi ces hommes voués à la mort, aucun ne regarde vers le ciel, car il est l’origine de tous leurs malheurs.

 

L’histoire se poursuit : parce que le peuple se remet en question, Dieu ordonne à Moïse d’élever un serpent de bronze qu’il suffira de regarder pour être sauvé des morsures des serpents. La partie inférieure gauche de  l’œuvre traduit la confiance que le peuple retrouve envers le Seigneur. Malades ou en santé, tous se pressent et s’entraident, portant les enfants à bout de bras, pour contempler le serpent de bronze à la suite de Moïse. Celui-ci, reconnaissable aux deux rayons de lumière sur sa tête, le montre de son bâton et s’accroche fermement de la main au mât qu’il a dressé.

 

La vaste zone de ciel est dominée par sa haute silhouette. En forme de Tau, il a la forme de la croix du Christ, selon certaines traditions. L’évangéliste Jean et à sa suite de nombreux Pères de l’Eglise établissent le parallèle : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle » (Jn 3, 15)

 

Tout est bien qui finit bien. Pourtant, l’épisode du livre des Nombres, et ces quelques serpents se détachant sur le fond de ciel nous laissent un goût amer, particulièrement en ce temps d’épidémie. « Dieu envoya contre le peuple les serpents » (Nb 21, 6). C’est écrit. Et c’est une de nos plus lancinantes questions : Dieu envoie-t-il l’épreuve ?

 

Le livre des Nombres est probablement plus subtil qu’il n’y paraît. En quelques versets, il nous fait passer de la vision d’un peuple qui accuse Dieu de ses problèmes, à celle d’un peuple qui met sa confiance en Lui. En quelques versets, il nous fait passer de la vision d’un Dieu qui envoie la mort à celle d’un Dieu qui sauve. L’épisode est central : il nous invite à quitter l’idée d’un Dieu vengeur, que nous devrions craindre, et à faire grandir notre confiance en Lui.

 

Les prophètes, l’Evangile de Jean puis les Pères de l’Eglise insisteront surtout sur cet aspect : Dieu sauve. Mais il ne peut pas nous sauver malgré nous. Comme au désert, il nous faut regarder le mal en face, discerner, reconnaître que si nous en sommes les victimes impuissantes, nous en sommes aussi parfois les complices. Il nous faut quitter à jamais la peur d’un Dieu qui voudrait la mort de sa Création.

Il nous faut contempler Jésus élevé sur la Croix. Comme nous victime du mal, du péché et de la mort, il est Celui qui nous sauve pour une vie éternelle.


 

TPC 10 - Jésus et Nicodème

 

Nicodeme Volmarijn Nicodeme Volmarijn  

Avec Attribué à Crijn Hendricksz Volmarijn (c. 1604-1645). Huile sur bois, 1,1 x 0,9 m. Collection particulière

Par un cadrage serré, par la table qui semble basculer vers nous, l’artiste parvient à faire de nous les indiscrets témoins d’un échange discret. Nous sommes à table avec ces deux hommes, dans l’intimité d’une maison plongée dans la nuit. 

Comme eux, nous dépendons des deux petites flammes au centre de l’œuvre. Elles seules nous révèlent leurs visages et projettent ombres et lumières dans la pièce. « Nicodème vint trouver Jésus pendant la nuit » (Jn 3, 1-8) Au cœur de la nuit, il cherche à comprendre. L’artiste l’a peint tel que l’Evangile le présente. C’est un  notable richement vêtu de damas épais orné  de passementeries dorées, la tête entourée d’un turban savamment drapé. Ses bésicles à la main, entouré de livres, c’est un pharisien, un de ces juifs pieux usant leurs yeux à étudier la Torah pour y chercher inlassablement la volonté de Dieu.  Cet homme est une autorité. Les années ont fait de lui une figure de sagesse, respectable et respectée. En allant rencontrer Jésus au cœur de la nuit, il reconnaît pourtant  le manque en lui, la quête de Dieu jamais aboutie. En cela, il est droit. Et voilà que Jésus l’invite à renaître. Comme il le pressentait, ses années d’expérience, la sagesse chèrement acquise en scrutant l’Ecriture ne suffisent pas. Il lui faut naître d’en haut, lui dit ce jeune prophète dont on parle tant. De sa main ridée, il se désigne et balbutie : « Comment un vieil homme peut-il naître ? »

Jeune, tête nue,  libre dans ses vêtements si simples, Jésus est en pleine lumière. La bouche ouverte, le regard tourné vers Nicodème, les mains accompagnant sa parole, Jésus est tout à son interlocuteur, passionné par son désir, infiniment respectueux de son chemin de droiture.

Il veut l’emmener plus loin, lui ouvrir l’horizon du Royaume de Dieu. Devant lui, un livre est posé, presque fermé. D’une façon étrange, presque artificielle, son bras le retient entrouvert. En-dessous, des feuillets épars s’en échappent. Jésus ne  condamne pas l’Ecriture qui nourrit Nicodème, trésor du peuple élu. Mais il lui redonne vie. Alors que devant Nicodème, elle s’ordonne sagement en colonnes de caractères et en piles de livres, avec Jésus, elle fait corps et déborde, surprenante.

« Il faut naître de l’Esprit » pour voir le Royaume de Dieu. C’est le message de Jésus à Nicodème.

Nicodème avait foi en Dieu, et attendait son Messie. Comme deux flammes pour éclairer son chemin. Comme deux mains  pour comprendre l’Ecriture.

Mais ici, pour qui regarde plus loin, le bougeoir à deux flammes  repose sur une triple structure. Et les deux mains de Jésus projettent sur sa tunique une 3e main.

Seul l’invisible et mystérieux Esprit de Dieu peut nous faire renaître pour le Royaume promis par Jésus. Laissons-nous étonner, il échappe à nos catégories, il déborde de la vie même de Dieu.

« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va »

 


 

TPC9 - Le Christ et St Thomas

 

image protegeeAvec Michel Ciry (1926- 2018), Huile sur toile

Quatre mains de la même chair et du même sang, quatre mains d’ombre et de lumière, constituent le cœur de l’œuvre. Si elles ne se sont pas géométriquement au centre, elles attirent l’attention et fascinent, comme souvent dans l’œuvre de Michel Ciry.

Les premières, en bas, sont celles de Thomas. Le jumeau. Le nôtre, peut-être. Vêtu d’orange vif qui tranche singulièrement sur le fond d’azur, c’est un homme inquiet. La lumière ne l’atteint que de dos. De face, il est plongé dans l’ombre. Avec son visage creusé, ses yeux cernés, sa barbe de quelques jours, il semble rongé  d’inquiétude, insomniaque à force de chercher à comprendre, blessé au plus profond de lui-même.

Thomas, pourtant, ne s’est pas enfermé sur sa douleur. Il est prêt à la rencontre, il la désire : son oreille en pleine lumière, ses lèvres pleines de vie le manifestent. Ses mains surgissent de la nuit pour accueillir celles, lumineuses, d’un autre homme. Elles se font coupe, elles se font prière.

Ses yeux fatigués de pleurer ne peuvent pas  quitter le visage mystérieux, mais ce face à face nous échappe. Nous pouvons pourtant identifier celui qu’il rencontre : ses mains percées sont celles d’un crucifié, son vêtement  se confond avec le ciel, et la lumière qui frappe sa paume de main se communique déjà à Thomas. Il est ce « Jésus que vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité » (cf. Ac 4, 10) Il est ce Messie envoyé pour partager la vie des hommes et qui regagne le ciel, présence absente ou absence présente pour nous.

Thomas découvre, bouleversé, « Son Seigneur et son Dieu » (Jn 20, 28). Il commence à peine à se réchauffer à sa présence, à quitter la nuit de la mort. Il goûte à la miséricorde du Seigneur qui vient  encore à sa rencontre alors qu’il l’a laissé mourir seul et qu’il erre dans la nuit du doute. L’Esprit-Saint  offert achèvera bientôt de l’enflammer  et lui rendra la confiance en lui et la  joie de suivre le Christ


 

TPC8 - Le Christ vainqueur

 

Ravenne001 Ravenne001  Avec la Mosaïque de l’oratoire de l’évêque de Ravenne, fin Ve-début VIe siècle

Voici une des premières représentations figuratives de Jésus ressuscité. Il s’agit d’une mosaïque créée pour l’oratoire de l’évêque de Ravenne à la fin du Ve siècle.

L’image peut nous sembler inhabituelle : pas de Christ jaillissant du tombeau, pas de soldats pour le garder ; ni anges ni nuées miraculeuses.

Le Ressuscité est vêtu comme un soldat romain. Jeune, imberbe, il se tient debout, paisible et sans violence : il est déjà victorieux.

Seuls l’emplacement de la mosaïque, son fond d’or, le nimbe crucifère, l’étendard et le livre, eux aussi marqués de la croix, nous permettent de l’identifier comme le Christ ressuscité.

Voici ses armes : sa condition divine, le don de lui-même jusqu’à la mort sur la croix, et sa parole, parole divine faite chair.

Représenté comme un antique général vainqueur, ses ennemis sous ses pieds, il rappelle aussi le psaume 91 : « Tu fouleras le lionceau et le dragon »

Quels sont ses ennemis ? A l’époque, la puissante hérésie arienne qui niait sa pleine condition divine. Mais le propos est aujourd’hui dépassé.

Aujourd’hui comme hier, les ennemis que le Christ vainc par sa résurrection sont le péché, le mal et la mort. L’image nous rassure : au matin de Pâques, ils ont été écrasés à jamais.

Nous le vivrons pleinement au jour de notre propre résurrection.

Et aujourd’hui ? Mettons toute notre confiance dans le Christ dont la parole est toujours actuelle : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6)


 

TPC7   la pêche miraculeuse. Jn 21, 1-14

 

peche miraculeuse Rupnik Onex peche miraculeuse Rupnik Onex  Avec Marko Ivan Rupnik, S.J  (né en 1954 en Slovénie). 2019. Une des 13 mosaïques du « Chemin de joie » à Genève

Ca semblait n’avoir été qu’un beau rêve. Et puis Jésus avait été crucifié et mis au tombeau. Celui-ci avait été trouvé ouvert,  mais que penser, que croire ? Autant retourner au travail. Ces sept apôtres sont des courageux. De leurs bras robustes, ils ne rechignent pas à la tâche. Unis par le souvenir d’une expérience unique, ils montent dans la même barque. L’Evangile raconte que leurs efforts furent vains. Ils avaient peiné toute la nuit, et rien. Mais un jour nouveau se lève pour eux, vaste nuée de tesselles d’or qui les lie à  l’homme sur le rivage. Celui-ci leur a demandé, une nouvelle fois, de jeter le filet. Ce jour nouveau est celui de la peine récompensée et de l’abondance. Et c’est précisément  cette fécondité qui leur permet de reconnaître Jésus, de renouer ce lien éprouvé par la Passion et la Résurrection.

 

Le filet déborde et c’est ensemble qu’ils luttent pour le tirer dans la barque. Pierre l’a déjà quittée pour rejoindre son Seigneur. Il n’a plus peur d’avancer en eau profonde pour retrouver Jésus. Entre eux, un magnifique échange se joue. Pierre se sait pécheur. Le souvenir de son triple reniement le hante encore. Il se sait tellement plus petit que son maître ! Celui-ci s’agenouille devant lui, comme au jour du Lavement des pieds. Il réduit ainsi la distance qui les sépare. Ses deux mains entourent la main tendue de Pierre qui lui offre un poisson, fruit de son travail, fruit de la mission qu’Il lui a confiée. Jésus lui offre aussi un poisson, pris sur le feu de braises près de lui. Pierre découvre ou redécouvre  qu’on ne peut rien offrir au Seigneur qu’Il ne nous ait offert.  De son autre main, ouverte comme une patène, Jésus offre un pain rond marqué d’une croix d’or, rappelant qu’il n’est pas possible de vivre la mission qu’Il nous confie, de s’approcher de lui ou de  conduire à lui sans communier à son corps livré comme un  pain de vie.

 


 

TPC6 - Apparition du Christ aux apôtres

 

Maesta de Sienne, Duccio di Buoninsegna (c.1255-c. Maesta de Sienne, Duccio di Buoninsegna (c.1255-c.  Maesta de Sienne, Duccio di Buoninsegna (c.1255-c.1319), 1308-1311. Tempera sur bois, Sienne, musée de l’œuvre de la cathédrale

Enfermés, confinés, portes verrouillées, les dix apôtres se cachaient. L’Evangile de Jean (cf 20, 19-23) rapporte que Thomas était absent. Quant à Judas, il n’était plus. Et voici que « Jésus vient et se tient au milieu d’eux » Comment peuvent-ils accueillir cette présence nouvelle, alors qu’ils sont reclus par peur de ceux qui ont mis à mort Jésus, et que le tombeau vide les a plongés dans des questionnements sans fin ?

 

Alors ils se tiennent à l’écart du Christ. Leurs bustes se penchent vers lui, mais la crainte, sans doute, les retient. Leurs visages d’ailleurs manifestent leur trouble. Pierre, à gauche, et Jean, à droite sont ceux qui s’approchent le plus. Ils étaient allés ensemble au tombeau. Pierre s’est couvert la main du pan de son manteau. Il n’ose toucher Jésus, et adopte ce geste liturgique remontant à l’Orient ancien et parvenu jusqu’à nous qui manifeste qu’on ne peut toucher Dieu directement. Jean, celui qui, devant le sépulcre, « a vu et a cru », a dégagé sa main. Dans la foi, à ce moment, il demeure le plus proche de Jésus.

 

Le Christ, droit, paisible, s’avance vers nous, marqué des stigmates de sa Passion. Comme par hasard, la porte derrière lui dessine un porche glorieux marqué par une croix de bois. Mais celle-ci ne le retient plus. Libre, il invite ses apôtres à quitter la crainte et le doute. Il les bénit et nous bénit : « La Paix soit avec vous »

 


TPC5 - Emmaüs

 

Jean Restout (1692-1768), 1735. Huile sur toile, 2,8x1,5 m. Lille, Palais des Beaux-Arts

 

Emmaues Restout001 Emmaues Restout001  Jadis dressée au-dessus d’un autel d’une église parisienne, cette toile nous ramène à Emmaüs, dans une auberge au simple plafond de poutres brutes. Etrangement, en revanche le sol est de marbre précieux. Ce n’est pas la seule incongruité de l’œuvre : un vaste drapé a envahi l’espace, mêlé de nuée et de lumière. Une lampe pareille à celle d’un sanctuaire, éclaire la scène. Face à l’autel, le fidèle était autant à Emmaüs qu’en son église ; et l’ambiguïté est volontaire : à chaque célébration eucharistique, nous sommes à Emmaüs avec les deux disciples et le Seigneur qui rompt le pain. Et à Emmaüs, le Christ ressuscité manifestait combien la fraction du pain ferait le corps de l’Eglise naissante.

Le Christ est peint de douces tonalités : le rouge et le bleu traditionnels de son vêtement se sont éclaircis, ses cheveux tirent sur le blond. Même la lumière qui le nimbe s’accorde à cette douceur. Diaphane, il est pourtant le cœur de la composition, solidement ancré dans la scène par son manteau bleu trop largement déployé. A ses disciples et aux fidèles, il présente le pain et le rompt. Son regard se tourne vers le Père, bien au-delà du plafond de bois. Toute eucharistie est action de grâce au Père, et il s’agit toujours d’une réalité trinitaire comme la lampe à trois flammes le rappelle.

Autour de Jésus, les quatre personnages adoptent quatre attitudes différentes. L’artiste nous invite à considérer laquelle est la nôtre, quitte à la convertir.

L’aubergiste et le jeune garçon de droite, qui se confondent avec le fond, ne peuvent pas accueillir ce qui se joue sous leurs yeux : ils n’ont pas vécu ce lent compagnonnage avec Jésus, et Il n’a pas ouvert pour eux le livre des Ecritures avec eux, chemin faisant. Indifférente, l’aubergiste tourne le dos à la scène et s’éloigne. Circulez, il n’y a rien à voir… Le jeune garçon perçoit qu’il se passe quelque chose mais  se recule, saisi d’effoi. Si un miracle se produit sous ses yeux et qu’il n’a pas découvert l’amour de Dieu révélé en Jésus, comment pourrait-il l’accueillir paisiblement ?

Quand aux deux disciples, ils ont raconté à Jésus leur peine et l’épreuve de la Passion. Ils  l’ont écouté  en marchant, et ils l’ont invité à demeurer plus longtemps avec eux. C’est au geste de la fraction du pain que leurs yeux s’ouvrent pour le reconnaître, que la nuée se dissipe pour faire place à la lumière tandis que Jésus semble déjà se dissoudre en elle. Hommes de ce monde bien concrets, puissamment peints, ils adoptent les gestes de la liturgie, celui de la prière et celui de l’humilité en présence de Dieu.  Ils ont communié au corps du Seigneur. Il leur reste à reprendre leurs bâtons et parcourir  les routes du monde pour l’annoncer ; et à se faire serviteurs, comme Lui-même leur a appris le Jeudi-Saint en lavant les pieds de ses apôtres.


 

TPC4  Femme pourquoi pleures-tu ?

 

F Von Uhde Femme pourquoi pleures-tu F Von Uhde Femme pourquoi pleures-tu  La fin du XIXe siècle est marquée par le désir de certains artistes de renouveler l’art religieux. L’allemand Fritz Von Uhe, de confession protestante,  élabore une formule résolument contemporaine et réaliste, exprimant la proximité du Christ. Son art fut remarqué, et même publié dans certains catéchismes catholiques de l’époque.

Une femme pleure sur un sentier boisé. Vêtue d’une robe terne et terreuse, couverte d’un simple châle noir, elle s’est arrêtée. Les mains sur le visage, elle se replie, enfermée dans sa douleur et submergée par elle. Malgré son allure de femme modeste du XIXe siècle, elle incarne avec force le chagrin, le chagrin de tous les temps.

Pourquoi pleure-t-elle ? Nul ne le sait. Un amour perdu ? La mort d’un être cher ? Ou pleure-t-elle d’angoisse devant la vie trop lourde à porter ?

Un homme s’est approché. Il doit avoir le cœur compatissant, car il s’est arrêté pour lui demander, « Hé, pourquoi pleures-tu ? »

Si la jeune femme est ordinaire, lui est étrange : nu pieds, vêtu d’une longue robe tunique blanc grisâtre, les cheveux longs, le bâton de marche à la main… pèlerin illuminé ? Hippie précurseur ? Son chapeau de paille retenu dans son dos ne nous convainc pas : il n’a rien d’un jardinier.

Il émane de lui une lumière discrète, qu’on perçoit surtout sur le bras et la nuque de la  femme.

Elle va bien devoir baisser ses mains, accepter de montrer son visage en larmes. Peut-être va-t-elle répondre à l’homme, et oser une rencontre en vérité.

C’est l’apparition du Christ Ressuscité à Madeleine, qui le prend pour un jardinier, racontée dans l’Evangile de Jean qui inspira cette œuvre à F. Von Uhde.

Librement, il donne à l’épisode une portée intemporelle. Il ne raconte pas un épisode biblique du passé. Il peint le Ressuscité qui continue de s’intéresser à tous nos chemins, à s’approcher de nous pour nous consoler, vraie lumière capable de nous libérer, de nous ouvrir à la rencontre divine, et à la joie de la résurrection.

 

Fritz Von Uhde (1848-1911), c. 1892-94, Huile sur toile, 109x80cm, Seattle Frye Art Museum

 

TPC3 les saintes femmes au tombeau,  Vouet

 

Vouet femmes au tombeau Vouet femmes au tombeau  Les artistes mélangent parfois leurs sources. Seul l’évangéliste Luc mentionne deux anges au sépulcre. Mais c’est dans l’Evangile de Marc qu’on parle d’un « jeune homme » vêtu de blanc, qui pourrait avoir inspiré le personnage de droite.  Enfin, Matthieu mentionne deux femmes au tombeau, tandis que Marc en mentionne trois. L’œuvre demeure complexe.

Tournées vers le sépulcre, un sarcophage dont le couvercle repose au sol, deux femmes, vêtues de la même manière, tombées à genoux, lèvent les yeux vers deux anges déployant devant elles le linceul vide. Un troisième personnage, enveloppé de blanc éclatant comme les anges, semble commenter la vision.

Les femmes étaient venues accomplir les gestes de l’embaumement, ainsi que l’atteste le vase posé devant elles. Mais leurs soins sont inutiles. Tombeau et linceuls sont vides de mort, et pleins de vie céleste.

Ce sont bien des envoyés divins, des créatures célestes qui s’adressent à elles. Le ciel s’est ouvert, comme le tombeau. Ils leur montrent le linceul de Jésus, le tenant avec une infinie délicatesse, désignant l’endroit où il se creuse le plus. Le linge est peint d’un blanc teinté d’ombre. Il n’a pas l’éclat des robes angéliques. Il ne recèle plus la présence divine. La mort n’a pu retenir le Fils de Dieu.

Devant la Résurrection de Jésus, nous sommes devant un mystère de présence et d’absence, de vide et de plein : Absent du tombeau, il nous précède  au carrefour des Nations, selon le jeune homme de l’Evangile de Marc.  Et il s’y rend présent pour toujours.

En ce XVIIe siècle si eucharistique, comment ne pas voir dans ce linceul précieux le corporal de la messe, mystère du Christ bien présent quand nos yeux de chair ne le voient pas ?

Pâques ouvre devant les disciples une nouvelle étape : il leur faut apprendre à reconnaître dans le monde les signes de la présence du maître ressuscité. Celui-ci continue à les enseigner, apparaissant, disparaissant, jusqu’au jour de l’Ascension, leur promettant : « je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20)


 

TPC2 - Les Saintes Femmes au Tombeau

 

resurrection laFosse resurrection laFosse  Attribué à Charles de la Fosse (1636-1716), c. 1680. Huile sur toile, 81x65 cm, Musée d’Angers.

L’Evangile selon St Marc raconte comment Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et Salomé se rendirent au tombeau au lever du soleil. Charles de la Fosse,  réputé pour la qualité vénitienne de ses lumières, rend parfaitement cette atmosphère de petit matin qui dore les carnations, les feuillages et les tissus. Ce caractère précieux peut sembler étrange alors qu’il s’agit de représenter trois femmes en deuil.

Il traduit le bouleversement vécu devant le tombeau vide  et l’apparition du Christ ressuscité. « Tu as changé mes habits funèbres en parure de joie » chante le psaume 29… ce ne sont plus trois femmes en deuil mais trois princesses surprises du retour de l’Epoux qui sont peintes. Elles forment comme une ronde colorée  autour de celui qu’elles avaient déposé dans le tombeau et qui jaillit devant elles.

Désormais, peu leur importe le tombeau sombre qu’on devine à peine sur la droite. Le divin maître est vivant, comme l’arbre planté dans le rocher, pareil à la croix plantée au sommet du  Golgotha.

Lui, souriant, les regarde. Le fin linceul gonflé de vent et traversé de lumière amplifie sa posture libre. Les bénissant d’une  main, il lève l’autre devant des maisons, à l’arrière-plan. Il désigne un ailleurs, pour lui comme pour elles. Il leur faut s’en aller, témoigner aux habitants de ces maisons comme aux spectateurs du tableau que l’homme crucifié est ressuscité.

Lui s’échappe déjà. Il les précède dans leur mission, Il le leur promet.


 

TPC1 - le Christ Sortant du Tombeau

 

resurrection Tissot001 resurrection Tissot001  Avec la Sortie du Tombeau, c. 1886-1894, James Tissot (1836-1902), gravure, 32,5x21,1 cm, Brooklyn Museum, New York

Un sombre charnier s’écoule vers nous, fosse commune terreuse surmontée de lanternes qui n’apportent aucune lumière. Les corps sont si enchevêtrés qu’il nous faut quelques instants pour discerner s’ils sont morts ou vivants. Tombés les uns sur les autres, ces soldats romains, dessinés avec une précision archéologique, sont pourtant bien vivants. Celui de droite nous fait comprendre ce qui s’est passé : un souffle puissant qui les a projetés au sol a ouvert le tombeau scellé qu’ils gardaient.

Le Christ s’élève devant cette porte solennelle, sans toucher le sol. Peint d’une étrange tonalité argentée, la même qui envahit le tombeau peuplé d’anges, Il est la source de la  lumière qui effleure les soldats, comme pour leur communiquer sa résurrection.

Frontal, paisible, d’une beauté antique soulignée par le linceul élégamment drapé, le Christ montre les stigmates de sa Passion. Mais les lacérations du fouet sur son corps, les marques des clous sur ses mains et ses pieds, la plaie de son côté n’ont plus la couleur du sang. Elles sont devenues signes glorieux. L’infâmante couronne d’épines est devenue une couronne de lumière. La Passion du Seigneur est entrée dans la gloire divine et se manifeste dans toute sa dimension de Salut.

A Pâques, tout est bouleversé : le tombeau plein de vie s’ouvre sur le ciel et la terre comme morte semble basculer dans la nuit. 

A Pâques, le Seigneur nous place devant le choix radical : « je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie ! » (Dt 30, 19)

A Pâques, la vie s’offre à nous, en la personne du Ressuscité. Laissons-le nous relever et nous illuminer pour marcher à sa suite.


 

SSC9 - Résurrection

 

resurrection Gruenewald resurrection Gruenewald  Avec Mathias Grünewald (c.1475-80-1528) Retable d’Issenheim, 1512-1516. Huile sur bois, Colmar, musée d’Unterlinden.

Nous méditions hier avec une partie du retable d’Issenheim, terrible mise en scène du mystère de la croix. Le retable, complexe, comportait plusieurs ouvertures. Au temps de la croix succède celui de la Résurrection, inéluctable promesse de vie pour qui met sa foi dans le Christ, jusqu’au cœur de l’épreuve.

Casqués, armés, équipés de lourdes armures et d’épaisses cottes de maille, ils sont les guerriers fatigués d’un monde dans la nuit. On leur a commandé de garder un tombeau. Mort et nuit, voilà leur triste sort. L’artiste les a peints  avec netteté, soulignant les contours et leurs attitudes complexes, pour les rendre pesants et si terrestres.

 Grünewald met ainsi en lumière la  force du miracle : un  souffle de vie tempétueux, capable de faire basculer une lourde dalle de marbre et de disperser la vaine soldatesque, bousculée et même propulsée dans la nuit.

Le linceul étroitement serré autour du cadavre s’élève dans le ciel, comme une légère nuée palpitante de vie. Le manteau de pourpre dérisoire couleur du sang versé jusqu’à la mort est devenu céleste manteau de gloire.

Le Ressuscité s’élève en majesté. Ses membres aux contours précis attestent de sa matérialité, tandis que son torse et son visage, tout en glacis légers, se confondent avec l’étonnant soleil nocturne qui donne à l’œuvre son caractère fantastique. La résurrection du Christ échappe à notre compréhension. Nos « comment ? » sont sans réponse.

Le sens de l’Incarnation est désormais pleinement manifesté : Le Seigneur Jésus offre à nos regards les blessures que nous lui avons infligées, les traces du péché dont nous sommes victimes et complices. Ses plaies sont plus puissantes que les armes des soldats. Son visage doux nous apaise : sa résurrection est promesse de vie pour l’humanité, lourde, fatiguée et blessée.

On croyait l’arbre de vie coupé à la racine. Voici qu’il rejaillit vivant d’une vie que plus rien ne pourra abattre. Laissons-nous bousculer par le souffle de la Résurrection. Car rien n’est impossible à Dieu.


 

SSC8 - Mater Dolorosa

 

mater dolorosa Ciry001 mater dolorosa Ciry001  Avec Michel Ciry (1919-2018), Mater Dolorosa, huile sur toile, 150x130cm, 1963.

Assise, elle attend. Ou peut-être n’attend-elle plus rien, mère de douleur épuisée après l’inique procès de son enfant unique, son supplice et son ensevelissement en hâte.

Digne, elle se tient droite. Vêtue de nuit, vieillie, comme toute l’humanité qui  a laissé mourir celui qui était sa jeunesse, elle porte en elle tous les souvenirs de ces dernières heures.

Le mur derrière elle est comme aspergé de sang. Une croix s’y dessine, discrète.

Comment oublier le corps flagellé, crucifié, le sang offert en spectacle aux hommes avides de violence ?

Mais ce n’était pas un spectacle. C’était son enfant. L’enfant qu’elle a bercé autrefois de ses mains douces de jeune mère.

Celles-ci sont maintenant démesurées. Il y a quelques heures, elles ont bercé une dernière fois l’enfant devenu adulte, nu comme à sa naissance. Elles en ont gardé la couleur du sang.

Hébétée, Marie serre les lèvres. Courageuse tentative pour ne pas pleurer, ou silence  devant le mystère douloureux.

Autrefois elle avait répondu oui à son Seigneur qui promettait le Salut. Aujourd’hui, sa bouche est close. Dieu pourrait-il demander à une mère d’acquiescer au meurtre de son enfant ?

Son regard nous échappe. Voit-elle plus loin que nous ? Pressent-elle que les paroles et les gestes de son Fils vont porter fruit ? Comme ses amis, comme Marthe, la sœur de Lazare, croit-elle que bien sûr, la résurrection adviendra, mais au dernier jour ?

Le secret de son cœur a pris une nouvelle dimension, douloureuse comme jamais. L’ange lui avait promis que son Fils serait grand, qu’il règnerait sans fin. Maintenant qu’il est mort, « Comment cela va-t-il se faire » ? N’est-il vraiment rien d’impossible à Dieu ? (cf Luc 1, 32-37)

 

 

SSC7  la Mise au Tombeau

 

mise tbeau Rubens001 mise tbeau Rubens001  Avec P-P Rubens (1577-1640), 1616, huile sur toile, 398x290 cm, Cambrai, église St Géry

Tout est fini.

Finis cette humiliante exhibition, les cris d’agonie, la violence des adversaires ou l’indifférence des passants.

Après le tumulte des dernières heures de Jésus, après l’effroi du supplice, le calme revient.

Le calme d’être délivrés de la haine qui a tué celui qu’ils aimaient, le calme de n’être plus que de ceux qui aiment celui qui est mort.

Calme teinté de hâte, car il faut fermer le sépulcre avant d’entrer dans le Sabbat.

Calme teinté de douleur, douleur d’une mère aussi pâle que le corps de son fils assassiné, douleur de ceux qui accompagnent jusque dans la tombe celui qu’ils pleurent.

Comme ces jours-ci, ils sont à peine quelques-uns à l’accompagner jusqu’au tombeau, pour y déposer le corps privé de vie. Corps d’albâtre azuré, à la pâleur d’hostie. Comme pour nous faire comprendre que tout son sang a été versé jusqu’à la dernière goutte pour le salut du monde.

Linceul déployé comme une voile, comme une ample nappe d’autel, corporal destiné à attirer   nos regards sur le corps du Seigneur.

Son corps est contemplé, touché, lavé. Son corps fait faire corps à ceux qui l’entourent. C’est lui qui les tient ensemble.

Pas encore ressuscité, le corps est déjà promesse eucharistique. Car il fait la première Eglise. Ainsi mis en scène, il nous rappelle cette mystérieuse présence du Christ vivant en chaque hostie consacrée pour que l’Eglise fasse corps et vive de la vie du Seigneur.

Depuis 4 siècles, le corps du Christ bascule vers un autel dressé sous l’œuvre, offert à notre contemplation, invitant à l’adoration du corps eucharistique.

Nous ne pouvons célébrer l’eucharistie comme nous le voudrions. Pourtant, au mur de notre église St Géry, le corps du Bien-aimé ne cesse pas de basculer vers nous, comme pour nous rejoindre en toutes nos morts.

Maintenant, il nous faut attendre. Attendre et veiller avec toute l’Eglise. Veiller et attendre que le signe du tombeau soit vaincu. Veiller et attendre que le Père redonne souffle au corps pâle du Fils offert pour que tous vivent.


 

SSC6 - Retable d’Issenheim

 

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Avec Mathias Grünewald (c.1475-80-1528) Retable d’Issenheim, 1512-1516. Huile sur bois, Colmar, musée d’Unterlinden.

Peint au début du XVIe siècle, le retable d’Issenheim nous rappelle cette année particulièrement que c’est pour nous que Jésus choisit de vivre sa Passion.

Le retable fut peint pour l’hôpital du couvent des Antonins, à Issenheim. En quoi cette image de déréliction, cruelle et délirante pouvait réconforter les malades ?

A Issenheim, on soignait le mal des Ardents,  appelé aussi feu de Saint Antoine. Terrible maladie transmise par la farine de seigle, provoquant une lente agonie, fièvre délirante, pourrissement des chairs, déformations  et noircissement des membres, affections de la peau comme lacérée d’épines.

Devant l’épidémie et son cortège de souffrances et de peurs, nos ancêtres étaient tentés par les mêmes questions que nous : Dieu se vengerait-il de nos péchés ? Nous enverrait-il la maladie comme autant de serpents brûlants ?

Les frères antonins répondirent à cette question – la plus terrible qui soit- par la commande de ce retable. Observons le Christ. Ni la flagellation ni la crucifixion ne peuvent expliquer la façon dont il est représenté, ses pieds et ses mains, déformés, noircis et pourrissant déjà, sa peau comme criblée d’épines. Le Christ contemplé par les victimes du feu de St Antoine souffrait du même mal qu’eux. C’était leurs souffrances qu’il portait (Isaïe 53), entouré de ses proches, démunis comme ceux qui voient mourir celui qu’ils aiment, suppliant en vain, mangés de larmes au point de défaillir.

Comment meurt un crucifié ? Les blessures qu’il a pu recevoir ne le font pas mourir. Il meurt asphyxié, incapable d’aspirer l’air nécessaire à ses poumons. Nous dirions aujourd’hui qu’il meurt en détresse respiratoire, ce symptôme que nous redoutons tous, au cœur de l’épidémie de Coronavirus.

Ce sont nos souffrances qu’il portait.

Hors du temps, Jean le Baptiste désigne Jésus du doigt, accompagné d’un petit agneau versant son sang dans un calice. Il sait que ce qui se passe est vertigineusement grand. Il sait et témoigne que Dieu lui-même se fait victime de la même souffrance des hommes, et que c’est là sa tragique puissance.

Le crucifié n’est pas un simple mourant. Il est l’Agneau de Dieu, Verbe éternel, Fils divin. Plus que jamais sur la croix, il porte son nom d’Emmanuel : « Dieu avec nous »


 

SSC5- Le lavement des pieds

 

rupnik_lavement_pieds rupnik_lavement_pieds  table generale Rupnik001 table generale Rupnik001  lavement des pieds Rupnik001 lavement des pieds Rupnik001  

Avec la mosaïque de Rupnik, le Lavement des pieds.

Sur les murs de la chapelle Redemptoris Mater au Vatican, le mosaïste Marko Yvan Rupnik a imaginé un décor continu, véritable synthèse de la foi, créant de fines associations visuelles entre certains épisodes bibliques.
On peut y contempler un Lavement des pieds (Jn 13, 1-15).

Inspirée des types de l’icône orientale, l’artiste est d’origine slovène, la composition n’a rien d’original : Jésus s’est agenouillé, en une gracieuse courbe continue. Pierre exprime sa question de sa main : quelle folie prend Jésus de prendre ainsi la place des esclaves et de laver les pieds de ses disciples ? L’autre disciple représenté n’est pas moins songeur. Etendant les mains vers le pain et la coupe, peut-être indique-t-il que les paroles de Jésus : « prenez et mangez ceci est mon corps, prenez et buvez, ceci est mon sang » sont aussi folles que son geste ?

Il nous faut élargir notre regard pour saisir l’originalité de l’oeuvre : à l’autre bout de la table, scindée en deux par une descente de Jésus aux enfers, une autre scène est représentée : Marie, sœur de Lazare de Béthanie, parfume les pieds de Jésus en sacrifiant un parfum coûteux et en les essuyant de ses cheveux. (Jn 12, 1-11) Aux côtés de Jésus, un disciple contemple la scène étonnante, tandis que Judas retient serrée contre lui la bourse du groupe. L’Evangile raconte sa colère devant ce gaspillage d’un parfum qui aurait pu être revendu fort cher.

Judas est la clé de cette scène double. Il est représenté comme celui qui retient tout à lui et ne sait pas donner. Il ne sait pas recevoir non plus : ni les gestes des autres, ni les idées différentes des siennes. Il est replié sur lui-même comme un cadavre dans son tombeau.

Tandis que la mise en parallèle de Jésus avec Marie de Béthanie exprime que tous deux savent recevoir et donner.

Marie adopte exactement l’attitude de Jésus dans le lavement des pieds : même silhouette en arabesque, même geste des mains faisant une coupe pour recevoir le pied, même attitude d’humilité. Comme Pierre, Jésus a un pied chaussé et l’autre nu. Et dans les deux scènes, on trouve un vase précieux. Celui de Marie est brisé : elle a déjà tout donné. Donné tout ce qu’elle pouvait donner au Christ, prête à le suivre, abandonnant ses biens précieux. Et son geste indique qu’elle est prête à suivre Jésus dans sa Passion. Au soir du Jeudi Saint, au cours du repas et du lavement des pieds, Jésus montre sa liberté : son corps et son sang, c’est lui qui les donne. On ne les lui prend pas. La condition de serviteur, d’esclave, de paria, il ne la subit pas, il l’a déjà choisie. Le vase est intact. Peut-être se brisera-t-il comme le rideau du temple se déchirera, alors que tout sera accompli.

Pour sauver le monde du péché et de la mort, Jésus se donne pleinement, jusqu’à mourir. Et Marie l’a déjà compris.

 


SSC4. Le Christ unique grand prêtre

 

Maurice Denis Sacre Coeur crucifie 1894  001 Maurice Denis Sacre Coeur crucifie 1894 001  Avec Maurice Denis (1870-1943) Sacré Cœur crucifié, 1894. Huile sur toile, 131 x 361 cm. Collection  particulière

L’espace est étrange : une sorte d’église éclatée, grande ouverte sur le monde et le ciel, et envahie d’un délicat tapis fleuri. Occupant tout l’espace du tableau, le Christ en croix s’élève sur une estrade fragile. Les yeux clos, la tête inclinée, il a rendu l’Esprit, apaisé : il a donné sa vie jusqu’au bout. Devant lui, les deux Marie ne font qu’une, voilées de la même nuit, bras levés en une douloureuse supplication.

Autour d’eux, le Golgotha s’est fait prière liturgique. Pas de prêtre. Il n’en est nul besoin : l’unique grand Prêtre, offert sur l’autel de la croix, est là. Des femmes vêtues de blanc, chantent, unies par une même partition,  ou prient, toutes intérieures, dans la lumière ou dans l’ombre.

Deux servants d’autel, l’un debout, l’autre à genoux ont aussi pris des attitudes différentes pour se recueillir. Leurs cierges, démesurément hauts, les rapprochent du corps du Seigneur crucifié. Leurs flammes sont comme de petits soleils vifs, et forment un triangle parfait avec le cœur de Jésus : cœur ouvert sur le monde et pour lui, source jaillissante d’une lumière que plus rien ne pourra mettre sous le boisseau, il est la source de toute lumière en notre Eglise.

Tout au fond, dans l’ombre, des personnages  s’avancent en procession, montant des marches rappelant celles du crucifix dressé. Comme ceux du premier plan, vêtus de blanc ou de noir, debout ou agenouillés, ils figurent les âmes des baptisés ensevelis dans la mort de Jésus pour ressusciter avec lui. Penché vers eux, un prêtre à peine esquissé mais dont on distingue bien la chasuble ornée d’une croix, leur donne la communion.

Une goutte de sang  jaune vif tombe de la main de Jésus sur ce prêtre dont la coupe est peinte du même jaune légèrement atténué. C’est la Vie du Christ, unique grand prêtre, qui peut justifier cette folie : un homme comme les autres  offrant le corps vivant du Fils de Dieu pour que tous vivent de sa vie.

Tout est inversé : l’œuvre nous place au pied de la croix, tandis que les célébrations liturgiques dont nous sommes  plus familiers sont placées loin de nous. Et si l’artiste inverse ainsi les choses, c’est pour nous rappeler le cœur de la foi

Heureux rappel d’un peuple diversifié mais rassemblé par son Seigneur.

Heureux rappel du Salut offert une fois pour toutes sur la croix, par le Christ qui conduit notre chemin de Salut vers le Père, chemin marqué de sa croix comme la chasuble du prêtre, simple homme oint de la vie rayonnante du Christ pour le service de ses frères.

Heureux rappel de l’eucharistie comme un trésor brillant et discret dans la vie de l’Eglise, source et sommet de sa prière, car née du don du Christ lui-même.

Heureux rappel, cette année particulièrement, que même si l’eucharistie peut être loin de nous, comme elle l’est ordinairement pour tant de peuples ou de personnes, la vie du Christ est offerte, et qu’il est possible de s’approcher de lui de tant de manières !

Heureux rappel de la grandeur du Christ, que nous célébrons aujourd’hui comme l’unique grand prêtre donné pleinement.

 


SSC3 - Salvator  Mundi

 

salvator mundi van cleve salvator mundi van cleve  Avec Joos Van Cleve (c. 1485- 1540-41), c. 1516-18. Huile sur bois, 54x40cm. Paris, musée du Louvre

Le Christ nous regarde avec douceur et  nous  bénit de sa main droite. Cette œuvre probablement destinée à la  dévotion, nous invite à une relation paisible et confiante  au Seigneur Jésus.

Le visage s’inspire des traditionnelles « Sainte Face » souvent considérées comme miraculeuses. La barbe bifide, les cheveux longs et bouclés, et le fond d’or sont caractéristiques.  La préciosité des orfèvreries, fermail, monture du globe de cristal surmonté d’une croix, accentue ce caractère céleste presque irréel.

Le Christ retient le globe de la main. Le geste est retenu, il n’enferme pas la sphère cristalline, mais la retient juste, afin qu’elle ne tombe pas et  ne se brise pas.

Dans le globe, on aperçoit un paysage sombre, à peine éclairé d’un petit point lumineux, comme un feu allumé au pied de la montagne, sorte de Sinaï où Moïse rencontra Dieu. Sur la partie supérieure du globe, l’artiste a peint le reflet de la fenêtre de son atelier, détaillant avec précision le plomb qui enserre les losanges de verre.

C’est tout le monde, notre monde, qui est représenté là : la Création, et aussi notre vie quotidienne, comme un appel à y rencontrer Dieu, à y éprouver sa présence comme jadis le peuple en Exode.

La croix comme un somptueux bijou, fixée autour du globe et comme surgissant  de lui, le relie au fond d’or, signe du monde divin.

Mettons notre confiance dans le Christ présent à toute vie, qui nous bénit, et par sa croix, nous relie au Père et rend au monde sa condition divine.

 


SSC2 - L’enfant Jésus jouant avec un clou

 

Enfant Jesus Bernin001 Enfant Jesus Bernin001  Gian Lorenzo Bernini (1598-1680), assisté de son fils Paolo Valentino. 1665. Marbre, 60x80 cm. Paris, musée du Louvre

L’œuvre est déroutante et peut même nous rebuter. Associer la douceur de l’enfance de Jésus à la douleur de sa Passion, ne serait-ce pas la marque d’un dolorisme exagéré ?

Nous voyons l’œuvre depuis notre XXIe siècle. Nous considérons l’enfance comme une période décisive pour la construction de la personne. Le petit enfant éveille en nous la tendresse. Au XVIIe siècle, l’enfance était regardée comme un état humiliant au regard de la grandeur humaine.

Aussi, contempler l’enfance du Christ, c’était d’abord contempler son abaissement dans l’Incarnation… « Il s’est abaissé lui-même » (Ph 2, 8), prélude de son abaissement dans la Passion. L’Ecole française de spiritualité développa beaucoup ce thème.

Lier l’enfance du Christ et sa Passion, c’est regarder deux aspects d’un même mystère : l’Incarnation du Christ, sa vie terrestre comme l’unique don de lui-même pour sauver l’humanité.

L’enfant représenté est un bébé qui ne marche pas encore mais se déplace déjà. Potelé, les cheveux  frisés, il a la douceur de l’enfance, pourtant troublée par la tristesse de son regard, bien au-dessus de son âge.

L’enfant s’est aventuré jusqu’à la boîte à outils de son père dont émerge un marteau. Il a saisi un clou dont la pointe perce la paume de sa main. Un tissu, dont l’artiste assure qu’il s’agit d’un voile de sa mère, déploie généreusement ses plis, préservant comme par hasard la pudeur  de l’enfant.

La douleur ressentie ou le sentiment d’interdit éprouvé en jouant avec les affaires de ses parents ne suffit pas à expliquer la tristesse de l’enfant.

En effet, la boîte à outils, posée sur un sol rocheux, ressemble à un tombeau ; et le voile de Marie, à un linceul déjà préparé. Quant au marteau et au clou démesuré, iles préfigurent la crucifixion de façon saisissante.

Notre regard sur l’enfance  bien changé depuis 350 ans. Mais l’œuvre, toujours provocante, conserve sa pertinence : Noël n’est pas le temps de s’attendrir sur la douceur de l’enfant tandis que la Semaine Sainte serait celui de compatir à la douleur de l’homme maltraité. De la crèche à la croix, le Fils de Dieu, abaissé en notre humanité, à travers ses joies, ses peines, ses souffrances, sa mission, son message, accueilli ou refusé, nous conduit à la Résurrection.

 


 

SSC1 - [Semaine Sainte] Le voile de Véronique

 

Veronique Greco001 Veronique Greco001  Avec Sainte Véronique, c. 1580 Greco (1541-1614). Hile sur toile, 91x84 cm. Tolède, Museo de Santa Cruz.

Cette année, nous sommes radicalement mis face au cœur de notre foi. Privés d’assemblées, privés de ce pèlerinage à la suite du Christ dans sa Passion et vers sa Résurrection, privés des partages graves puis joyeux qui nous rassemblent dans nos églises chaque année. Pourtant, déjà, la communion spirituelle agit, et nous nous partageons combien l’extraordinaire sobriété de cette liturgie de circonstance nous touche, réduite à son essentiel.

L’essentiel. Cette Véronique peinte par le Greco nous y conduit de façon merveilleuse. Ceux qui ont eu la chance de la contempler au Grand Palais récemment en sont encore frappés. Magistrale choc de peinture et de foi au seuil de l’exposition.

Véronique surgit de la nuit avec laquelle son manteau se confond presque. Auréolé de lin léger, son visage s’est fermé,  devenu dur et froid comme pierre. Son menton tremble. Courageuse, elle retient ses larmes pour montrer le linge de sa compassion sur lequel s’est imprimé le visage de celui qui est lui-même compassion. L’artiste a légèrement tourné sa tête vers la droite, lui donnant ainsi un peu de mouvement et d’humilité : elle ne veut pas qu’on la regarde.

Ce qui lui importe, c’est le lumineux trésor qu’elle déploie pour nous de ses doigts gracieux. Encadré de lignes d’or, comme un lavis précieux, le visage du Christ, frontal, lisse, tel que les plus anciennes représentations de la Sainte Face nous en ont donné le modèle, nous interpelle. Nous ne pouvons échapper à son regard. Marqué par la souffrance, il la dépasse pourtant, empreint d’une incroyable sérénité.

Il nous regarde, car c’est pour nous qu’Il est venu, c’est pour nous qu’il vit la Passion. Il est serein, confiant que le projet de Vie du Père adviendra. Comme Véronique, l’humanité quittera la nuit, si elle accueille le Christ comme un trésor de lumière éternelle et le manifeste au monde humblement.

 


 

CC15 - L'entrée du Christ à Jérusalem

 

 

CC14 - La femme adultère (Jn 8, 1-11)

 

lotto_femme_adultère lotto_femme_adultère  Avec Lorenzo Lotto (1480-1556)  Huile sur toile, 99x127 cm. Paris, musée du Louvre

La foule, violente, enserre une femme comme pour l’étouffer. Par son cadrage serré, l’artiste nous immerge dans la scène. Seule l’imposante et calme figure de Jésus crée un espace de respiration au cœur du tumulte.

La femme,  sensuelle figure au teint de porcelaine,  toute en larmes, vêtue – ou dévêtue- d’étoffes raffinées et parée de bijoux est brutalement saisie par sa chevelure tressée. Celui qui la brutalise est un soldat, caparaçonné de métal et armé d’un bâton.  Autour d’eux, ce ne sont qu’accusations, armes dressées, visages agressifs ou moqueurs. « Cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là » argumentent-ils, désignant le ciel du doigt ou énumérant les articles de lois sur leurs doigts bagués de suffisance.

Privée d’identité personnelle, la femme est réduite à une catégorie. Pire, à un objet pour faire tomber Jésus. Car c’est Lui qui est mis en accusation par le personnage de droite. Nous tournant le dos, c’est Jésus qu’il désigne. Au fond, peu leur importe la femme, s’ils parviennent à piéger Jésus.

Jésus, vêtu de Terre et de Ciel, une main levée et illuminée, l’autre baissée, dans l’ombre, ne s’agite pas. Il invite au calme, à l’intériorité : « celui d’entre vous qui est sans péché… ». Et ils connaissent leur péché : celui d’utiliser la loi à leur profit, celui d’ignorer voire de protéger l’amant de la femme, dans une solidarité masculine ici pathétique.

Mis au pied du mur, le groupe va se déliter. L’espace ouvert par Jésus va s’élargir. La femme pourra respirer. Sans violence, sans contrainte, elle pourra elle aussi réfléchir sur son péché. Celui qui l’a sauvée ne la regarde pas. Ni jugement, ni lubricité, ni violence en lui. Il est venu pour servir l’humanité et l’inviter à grandir, libre de tout péché.

« Va, et désormais ne pèche plus » un chemin nouveau s’ouvre pour cette femme et tous ceux qui rencontrent le Christ.


 

CC13 - La résurrection de Lazare

 

Jacob Willemsz de Wet l’Ancien _Lazare Jacob Willemsz de Wet l’Ancien _Lazare  Avec Jacob Willemsz de Wet l’Ancien, (c. 1610-c. 1675-1691, Haarlem) Huile sur bois, 46x65 cm. Lille, Musée des Beaux-Arts​

Le lieu est effrayant : une grotte jonchées d’ossements et peuplée de figures esquissées comme des ombres errantes dans les enfers, aux allures de catacombes. On pourrait s’effrayer plus encore à la vue d’une tombe ouverte, de laquelle un cadavre se relève. Pourtant, point de frayeur dans la foule. Juste une intense curiosité. On est venu au spectacle, emportant son enfant sans crainte. On se presse, on se bouscule même pour voir. Car un mort qui ressuscite, il faut bien le voir pour le croire.

Juché sur une dalle comme sur un socle, de haute stature, nimbé, un homme se tourne vers le Ciel : « Père je te rends grâce parce que tu m’as exaucé » (Jn 11, 41) s’écrie Jésus, sûr de l’amour vivifiant du Père et se recevant de lui. Dans l’ombre de la grotte, trois points blancs resplendissent : une partie du visage et de la tunique du Christ ; Marthe, la sœur du ressuscité, qui capte la lumière de la même façon que Jésus, et la chemise de Lazare surgissant du tombeau.

L’emploi de la lumière traduit la force divine que Jésus reçoit de son Père pour sauver l’humanité. C’est cette force qui libère Lazare de la mort et console Marthe qui contemple dès maintenant que Jésus est maître de la vie.

Sur la droite, un autre groupe de personnages, ombres floues se confondant avec la paroi rocheuse, tend les bras vers la lumière du jour. Dehors on perçoit la silhouette d’une église au milieu des arbres.

L’humanité encore dans l’ombre aspire de tout son être à la vie éternelle et à la pleine lumière. Le Christ, tout tourné vers le Père et tout donné aux hommes, en est l’unique Chemin. Son Eglise en est le signe et le témoin au cœur du monde.


 

CC12 [Carême confiné 12] - Le Buisson ardent

 

Nicolas Froment buisson ardent 1477 Nicolas Froment buisson ardent 1477  Avec le Triptyque du Buisson Ardent, Nicolas Froment (c. 1425-c.1485), 1476, huile sur toile marouflée sur bois, 308 x212 cm. Cathédrale St Sauveur, Aix en Provence.

Plus on avance vers Pâques, plus la question devient envahissante dans l’Evangile de Jean : mais qui est-il ? Qui est ce Jésus ? Autour de lui, beaucoup comprennent que cet homme bouleverse radicalement, à la racine, la foi de leurs pères. Pour certains c’est une bonne nouvelle, pour d’autres, un danger à écarter  sans états d’âme. Alors ? Foi héritée de Moïse, élaborée patiemment au cours des siècles par le peuple hébreu? Ou foi renouvelée en la personne de Jésus, révélant le visage du Père, tel que les prophètes l’avaient pressenti ?

Nicolas Froment, à la fin du XVe siècle, nous propose une réponse à la question dans son triptyque du Buisson ardent, trésor de la cathédrale d’Aix en Provence.

 

La Bible nous raconte la vie déjà tumultueuse de Moïse, avant l’Exode : enfant hébreu échappant à la persécution de Pharaon, il est élevé par sa fille. Devenu adulte, il est bouleversé par la misère de son peuple et tue un Egyptien. Obligé de fuir, il se marie et devient le gardien des troupeaux de son beau-père.

C’est ainsi que Nicolas Froment le peint : assis, son chien à ses côtés, son troupeau paissant paisiblement au pied de la montagne de Dieu, l’Horeb (cf Ex 3). C’est là que « l’ange du Seigneur  lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson ». L’artiste prend quelques libertés avec le texte : comme dans une Annonciation, l’ange devient un messager chargé d’envoyer Moïse en mission et semble lui parler. Comme parfois dans les représentations de l’Annonciation (cf CC9), une allusion au péché d’Adam et Eve est faite, ici sur le fermail du manteau de l’ange. Le projet de Dieu est toujours le même, au temps de Moïse comme au temps de l’Incarnation : libérer et sauver son peuple du péché.  Les figures de patriarches et de prophètes qui forment le cadre peint sur fond d’or, le signifient.

Sur un tertre figurant l’Horeb, un vaste buisson flamboie sans se consumer. Moïse protège ses yeux devant l’apparition divine, et se déchausse, comme le Seigneur lui-même le demande : « retire tes sandales car le lieu où tu te tiens est une terre sainte »

Si l’artiste ne respecte pas la Bible à la lettre, jusqu’à présent, pourtant,  rien de bien extraordinaire. Certes, le décor de villes à l’arrière-plan, les vêtements et les accessoires sont de l’époque de l’artiste  qui ne cherche pas à reconstituer le Moyen Orient ancien.

L’extraordinaire réside dans la Vierge à l’enfant, vêtue d’un ample manteau se répandant autour d’elle en plis harmonieux, trônant au cœur du Buisson. Pourquoi associer ainsi les figures de Moïse et de Marie, séparées par des siècles d’histoire biblique ?

L’extraordinaire de Dieu… Un buisson qui brûle sans se consumer, comme une jeune fille demeurant vierge malgré la maternité, inaltérée comme le miroir traversé par la lumière sans se briser. Celui-ci, tenu par l’enfant, renvoie au fermail de l’ange : la réponse divine au péché de l’homme est d’offrir son Salut dans l’Incarnation de son Fils.

Dans le quotidien ordinaire de Moïse, l’extraordinaire de Dieu a surgi.

Dans le quotidien ordinaire des contemporains de Jésus, l’extraordinaire de Dieu surgit à nouveau, de façon inégalée.

Le même Dieu se révèle, donné à son peuple pour lui révéler le quotidien comme un espace sacré, le libérer de tout esclavage, et lui faire l’extraordinaire promesse de combler à jamais la distance entre les hommes et Lui, dans le Royaume révélé par son Fils.


 

CC11 [Carême confiné 11] - Jésus devant Pilate

 

jesus_ponce_pilate jesus_ponce_pilate  Avec L’oeuvre de Tintoret, « Jésus devant Pilate ».

L’Evangile de Jean est celui qui décrit le mieux le processus qui conduit Jésus vers sa Passion et les colères qui s’exacerbent contre cet insaisissable prophète, au cœur de Jérusalem. L’Evangile d’aujourd’hui (Jn 7) décrit le trouble des habitants de Jérusalem, qui savent que les chefs religieux « cherchent à le tuer », et qui pourtant, le voient poursuivre son enseignement au Temple. Tout est déjà là, en germe : des menées troubles conduisant Jésus à un procès perdu d’avance ; et une persistance de Jésus à poursuivre sa mission.

L’oeuvre de Tintoret, « Jésus devant Pilate » décrit très bien ce double mouvement de menées obscures face à la droiture de Jésus.

Dans la cour du prétoire, Pilate siège sur une solennelle estrade de marbre. L’architecture de la cour est rythmée par une succession de colonnes droites dont la verticalité est encore soulignée par les lances et les étendards des soldats qui surgissent au milieu de la foule.

Il n’en est pas de même pour les accusateurs de Jésus. Tous adoptent des postures complexes, se retournant, s’agitant, voire se repliant sur eux-mêmes. Aucun ne se tient droit. Pilate lui-même, à moitié assis, tend les mains d’un côté et regarde de l’autre. Il n’affronte pas en face celui qu’il devrait juger d’une autorité impartiale.
Devant Pilate, une marche plus bas mais pourtant plus grand que lui, Jésus se tient debout. On voit à peine les liens dont il est retenu. Il ne gesticule pas, ne détourne pas son regard de Pilate et de son geste. La blancheur de l’ample manteau qui l’habille contraste avec les couleurs variées et parfois acidulées des vêtements de la foule. Jésus domine nettement la scène par sa simple présence.

Au milieu d’une humanité compliquée, tortueuse, lâche et pécheresse, Jésus se tient humble. Mais il est solide et droit comme les hautes colonnes qui l’entourent.

Déjà élevé, son désir est de les attirer tous à lui pour les sauver (cf Jn 12, 32)


 

CC10 [Carême confiné 10] - La prophétesse Anne lisant la Bible

 

rembrandt_prophetesse_anne rembrandt_prophetesse_anne  Avec Rembrandt (1606-1669), 1631. Huile sur bois, 48 x 60 cm, Rijksmuseum, Amsterdam

Anne, la vieille prophétesse qui assiste à la Présentation de l’Enfant Jésus au Temple, est à sa lecture. On dit que Rembrandt, l’artiste, a pris sa mère pour modèle. La démarche est la même et unit les croyants à travers les siècles. A l’époque de Rembrandt, les communautés protestantes d’Amsterdam encourageaient le retour des fidèles à l’Ecriture, les communautés juives, nombreuses, également. Depuis, l’Eglise catholique a redécouvert aussi cette nourriture vivifiante offerte à tous.

Sur un fond brun, sans ouverture, confiné (!), la silhouette d’Anne se détache. Elle s’est réfugiée dans une chambre, un coin de la maison, pour une rencontre personnelle avec l’Ecriture. Elle en retient une page comme par une caresse de sa main ridée. Pas de solennité, ni cierges, ni lutrin orné, ni encens. Le livre est posé sur ses genoux, faisant corps avec elle. Car il ne s’agit pas de paroles ordinaires, mais de la Parole de Dieu, celle dont l’Evangile de Jean écrit qu’elle s’est faite chair. En ouvrant sa Bible, c’est à une rencontre aimante avec le Seigneur Jésus que la femme se prépare.

Vieillie, elle disparaît dans un ample vêtement de velours épais et de fourrure. Son visage est flou à nos yeux, caché dans l’ombre de sa coiffe. On devine pourtant des yeux usés, fatigués peut-être d’avoir parcouru le livre corné et déformé d’avoir été utilisé.
Dans ces tonalités terreuses, pourtant, une lumière éclate : le livre crée un vaste espace clair, lumineux. Les lettres, peintes d’un gris clair, ne troublent pas cette luminosité. Derrière la femme, une fenêtre peut-être, lui apporte la lumière nécessaire pour lire, et effleure son vêtement. La coiffe étonnante, une écharpe d’or aux précieuses allures orientales, capte cette lumière en reflets irisés.
Dans l’ombre calme, une vieille femme aux yeux usés poursuit inlassablement sa lecture de la Parole. Cette rencontre l’illumine plus que la lumière du jour. Sa main se fait douce, son visage intérieur. Elle s’est parée d’une coiffe de jeune épousée, comme irisée de la lumière reçue du Livre. Elle est en cœur à cœur avec le Seigneur. Paisible elle sait que « les préceptes du Seigneur sont droits, qu’ils réjouissent le cœur(…) et que son serviteur en est illuminé » (Psaume 18)


Que ce temps particulier nous donne de goûter la Parole de Dieu, comme une rencontre vivante ! Que nos Bibles soient usées d’être lues !


 

CC9 [Carême confiné 9] - Fête de l'Annonciation du Seigneur

 

Avec "l'Annonciation de Brera",  Oeuvre Anonyme du début du XVIe siècle, Huile sur toile, 265 x 165. Milan, Pinacothèque de la Brera

Marbres, colonnes, chapiteaux dorés, sculptures… le décor est grandiose comme celui d’un temple ou d’une église. Nous sommes pourtant dans une chambre : le lit à l’arrière-plan ne permet pas d’en douter.annonciation Brera annonciation Brera  

C’est dans ce cadre étonnant que Marie accueille l’ange Gabriel. Son visage au sourire paisible ne traduit pas la crainte et les questions que l’évangéliste Luc nous rapporte, mais une intériorité sereine et joyeuse.

Décidément, pourtant, ce décor n’a rien de réaliste. S’il prend l’allure d’un temple, c’est sans doute que ce qui se déroule sous nos yeux est sacré, et que Dieu se manifeste. Au centre, le lit aux allures de trône nuptial occupe tout l’espace, surmonté d’une curieuse boiserie. Telle un retable, elle encadre deux scènes de l’Ancien Testament, peintes en grisaille : Adam et Eve cédant au serpent tentateur, et l’ange les chassant du jardin d’Eden. Ainsi, la mémoire du péché originel est placée au centre de la scène. Alors que toute l’œuvre éclate de couleurs douces et raffinées, ces deux fenêtres noires semblent maléfiques.

Cet inquiétant souvenir ne fait que mettre en valeur la joyeuse escouade angélique qui surgit de partout, voletant partout dans le vaste espace. Souriants, ils adorent la jeune fille ou s’extasient devant elle.

 

Car Marie a accepté de porter le Fils de Dieu en son sein. Le peintre nous en donne tous les indices. Un ange tient au-dessus d’elle une navette d’encens, ou une lampe de sanctuaire. Peu importe, l’une comme l’autre atteste que Marie est devenue l’arche de la nouvelle Alliance. Comme l’arche de la première Alliance autrefois préservée dans le temple de Jérusalem contenait les signes de la présence de Dieu, Marie accueille en elle la présence de Dieu, son Fils.

Derrière Gabriel, deux autres anges apportent déjà les offrandes que les femmes juives portaient au Temple, après leur accouchement : un agneau et une colombe.

 

Ainsi, l’artiste joue de l’ambiguïté entre la chambre de Marie et le Temple de Jérusalem et nous fait parcourir l’histoire des hommes avec Dieu depuis les origines. Il déploie ainsi le thème de l’Annonciation comme la réponse salvatrice de Dieu aux hommes marqués par le péché.

Alors que les anges dansent autour d’elle, Marie accueille l’enfant promis par l’Ecriture, annoncé par les prophètes dont le buste surmonte le lit. Femme de foi, elle ne s’arrête pas à ses propres craintes, mais contemple émerveillée l’œuvre de Dieu qui n’abandonne jamais l’humanité.

Le Salut advient, Dieu vient rendre la joie au monde. 


 

CC8 [Carême confiné 8] - La piscine de Bethzatha

 

90744466_10221653644712120_3708620551183400960_n piscine de Bethzatha  Avec Jacopo del Sellaio (1442-1493) peinture sur bois, Castiglione Fiorentino, pinacoteca comunale

Une occasion de penser aux personnes seules…

A Jérusalem, près du Temple, se trouvaient de vastes bassins qui servaient à alimenter le sanctuaire en eau. Le lieu avait une réputation curative, et de nombreux malades s’y pressaient. Il portait le nom de Bethzatha : « maison de la grâce ».
L’artiste représente le lieu avec les colonnades mentionnées par l’évangéliste, et identifiées par les mots « Templum Salomon ». Au 2e plan, sous les arcades, s’entasse la foule de malades qui attendent le bouillonnement de l’eau qui pourra les guérir. L’attente est longue : certains discutent, d’autres se sont endormis.
Au 1er plan, à l’écart du groupe, un paralysé est étendu sur un brancard aux allures de brouette. Il se plaint auprès de Jésus : personne pour l’aider à s’approcher de l’eau ! Aucune solidarité envers lui. Et pourtant, son désir d’être guéri l’a poussé à venir, encore une fois, espérant peut-être, enfin, un peu d’entraide.
Emu par ce malade abandonné à lui-même, Jésus le guérit de sa propre puissance. Il marche vers lui, se baisse vers son brancard, et ses mains expriment sa parole : la 1ère, tournée vers le ciel, est une invitation à se lever et à marcher. La seconde, pointant le brancard, invite l’homme guéri à le porter lui-même.
Les colonnades s’ouvrent sur un paysage sombre que même le soleil ne parvient pas à éclairer. Un arbre sec, cassé en deux, attire l’attention. La mort rôde : cette guérison de Jésus un jour de Sabbat va entraîner une persécution, et le conduire bientôt à la croix. Mais une lueur discrète émerge sur la droite du paysage. Le chemin de Salut ouvert par Jésus pendant sa vie terrestre ne s’arrêtera plus.

Jacopo del Sellaio (1442-1493) peinture sur bois, Castiglione Fiorentino, pinacoteca comunale


 

CC7 [Carême confiné 7] - Le centurion de Carpharnaüm 

 

Avec Paolo Véronèse (1528-1588), huile sur toile, 192 x 297 cm. Madrid, musée du Prado.​cVeronese centurion Veronese centurion  

L’Evangile de Jean relate cette demande poignante d’un fonctionnaire royal à Jésus de guérir son fils mourant.

Véronèse, un des plus grands peintres vénitiens du XVIe siècle, situe la rencontre dans un décor imaginaire de ville antique imaginaire. Il donne de l’ampleur à la scène en entourant Jésus d’un groupe de disciples et de curieux, et le fonctionnaire royal d’une somptueuse suite armée.

Si leurs hallebardes s’élèvent vers le ciel, débordant même l’espace de la toile, les soldats à gauche décrivent un mouvement de prosternation qui culmine en la personne du fonctionnaire suppliant. Celui-ci, tête nue, désarmé, s’agenouille sans égards pour son somptueux manteau de pourpre. Sa main droite désigne le sol tandis que sa main gauche levée vers le ciel en reçoit toute la lumière. Véritable croix vivante, il se reconnaît humble et demande pourtant l’aide du ciel : « Seigneur, descends ! » demande-t-il à Jésus.

Celui-ci, discrètement nimbé de lumière, s’incline doucement vers ce père qui mendie la vie de son enfant. Il ne détourne pas son regard. Sa main ouverte répond à celle du fonctionnaire.

Derrière Jésus, vêtu d’une couleur presque semblable, Pierre se penche aussi vers cet homme en souffrance. Autour d’eux, en revanche, les autres personnages semblent indifférents à l’échange qui se joue. Rien d’extraordinaire, en effet, puisque l’enfant malade n’est pas présent. Dans cette guérison, tout se joue en une rencontre et en une parole, simple, puissante et agissante : « Va, ton fils est vivant ! »


 

CC6 [Carême confiné 6] - La guérison de l'aveugle

 


 

CC5 [Carême confiné 5] - Le pharisien et le publicain

 

Avec la fresque de l’abbaye bénédictine d’Ottobeuren, en Bavière, Johann Jakob et Franz Anton Zeiller, 1755)

« Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteu480px-BasilikaOttobeurenFresko07 480px-BasilikaOttobeurenFresko07  r d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même :

“Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine
et je verse le dixième de tout ce que je gagne.” Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !” » (Evangile selon St Luc, 18)

La parabole est connue. Dans le déluge de stucs de l’église abbatiale d’Ottobeuren, les frères Zeiller en ont fait le sujet d’un petit cartouche. Le temple de Jérusalem est représenté de manière fantaisiste : colonnes, voûtes, drapé suffisent à évoquer la grandeur du lieu. Les tables de la loi, les dix commandements, ont été disposées sur un autel, mises en valeur par deux chandeliers et un lustre. Ce petit détail nous est donné comme une interpellation : voulons-nous adorer Dieu, ou ce que nous percevons de ses commandements ? Dieu n’est–il pas plus grand que sa loi ? N’y a-t-il pas là une subtile mais terrible forme d’idolâtrie ? St Paul le répète : c’est la foi qui rend juste. Pas la certitude de bien obéir à la loi.

C’est l’attitude du pharisien : s’estimer par lui-même juste aux yeux de Dieu en invoquant la qualité de son obéissance aux commandements. En désignant d’un doigt méprisant le publicain, son frère en humanité et dans la foi, en lui tournant le dos avec dédain, il tourne aussi le dos à la loi et au Seigneur qu’il croit vénérer. La relation qu’il entretient avec Dieu n’a rien de personnel, elle est mise au service de son propre orgueil. Drapé de splendeur, il se croit à la hauteur de Dieu, mais il s’enfonce dans l’ombre, poussé par un démon aussi flamboyant que lui et précédé par un chien.

Le publicain, peint de douces couleurs chaudes, agenouillé, les mains repliées, courbe la tête devant les tables de la loi. Il sait qu’il n’est pas à la hauteur. Peu lui importe que l’homme près de lui soit plus ou moins saint. Il confesse que Dieu est plus grand que lui et plus grand que son péché. Il n’espère pas être aimable, mais il sait que Dieu peut l’aimer.

Comme l’écrivait la carmélite arabe, Ste Mariam de Bethléem : « En enfer, il y a toutes sortes de vertus, mais il n’y a pas l’humilité. Au ciel, il y a toutes sortes de péchés mais il n’y a pas l’orgueil. »


 

CC4 [Carême Confiné 4] - Dieu comme une mère

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Avec Les Premiers Pas sur la Terrasse à Fiesole, c. 1898. Maurice Denis (1870-1943). Huile sur toile, 92 x 68 cm. Collection particulière

Maurice Denis, fondateur des Ateliers d’Art sacré en 1919, aime particulièrement représenter sa famille et la foi qui l’habite. La contemplation de l’une le conduit à l’autre. Il saisit de petits instants de la vie familiale par la photographie et les recrée ensuite sur la toile, leur donnant une dimension nouvelle et universelle par sa palette éclatante et son sobre dessin. Il transpose ainsi les premiers pas de Noële, sa première fille, dans leur maison de St Germain, à Fiesole où la famille séjourne l’automne suivant.

Sur la terrasse inondée de soleil, deux femmes se sont agenouillées à hauteur de la fillette. L’une la retient, lâchant délicatement sa main ; l’autre tend les bras pour la recevoir, émerveillée de la vie qui grandit et prend confiance. Toutes deux encouragent l’enfant paisiblement et joyeusement. Prête à tenter l’aventure, rassurée, elle s’avance. Elle sait que si elle tombe, elle sera relevée et consolée.

Le motif semble se répéter à l’arrière plan : on y retrouve deux femmes, elles-aussi vêtues de bleu ou de gris. Cette fois, un petit enfant est porté dans les bras.

Les prophètes de l’Ancien Testament n’ont pas hésité à comparer Dieu à une mère : « Le Seigneur console son peuple …Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas » (Isaïe 49, 13-15)

Les attitudes maternelles ici répétées expriment cette tendresse de Dieu qui nous encourage et nous invite à marcher seul, nous relevant si nous chutons, nous portant si nous nous décourageons, toujours prêt à nous accueillir ou à nous consoler.

Sur la terrasse, un oranger plein de fruits et un laurier rose, arbres généreux et toujours verts, annoncent la campagne toscane dont on ne voit pas la limite. Le parapet distingue les deux espaces nettement. Si Dieu nous accompagne comme une tendre mère, c’est pour nous conduire à la vie infinie avec Lui.


 

CC3 [Carême Confiné 3] 

 

image protegeeAvec La fuite en Egypte, ARCABAS (1926-2018), huile sur toile, 81 x 100 cm, coll. particulière

Sur les flots comme hérissés de vaguelettes, la barque vogue paisiblement. A son bord, se trouvent une mère et son bébé protégés par un géant bleu, un rameur à la posture de gondolier, et un âne placide tout étonné de se trouver à bord.
Le rameur, plongé dans l’ombre, ressemble à Charon, le passeur du fleuve Styx, qui conduisait les morts aux enfers dans la mythologie grecque. Il s’agit bien de mort et de vie : ce couple fuit la fureur du roi Hérode pour protéger leur enfant. Devant eux, l’eau s’éclaircit. La vie est devant.
Arcabas choisit un motif original pour peindre la fuite en Egypte racontée par l’évangéliste Matthieu. La haute stature de Joseph rappelle son rôle décisif : c’est lui qui prend la mère et l’enfant pour les conduire à l’abri, selon le commandement divin reçu en songe.
Alors que le rameur, la mère et l’enfant sont traités avec un certain réalisme, la figure de Joseph, sorte de fantôme au visage dédoublé, étonne.
En effet, Joseph semble tourné vers deux réalités, un œil regardant droit devant, et l’autre plus haut ; une main de chair délicatement posée sur l’épaule de Marie, et l’autre désignant le ciel et l’étrange motif peint par l’artiste : une croix d’ocre et une colombe en plein vol.
Joseph, comme Marie, est docile à L’Esprit Saint. Il se laisse guider par lui. Et lors de la fuite en Egypte, il protège le Fils de Dieu de sa première croix, alors qu’il est trop petit pour la porter lui-même. Joseph est l’homme de la vie concrète, père nourricier et protecteur quotidien. Là est sa mission.
En peignant la Sainte Famille sur un bateau, accompagnée d’une colombe, Arcabas associe la fuite en Egypte à l’arche de Noé : comme au temps du déluge, Joseph est choisi par Dieu pour contribuer au Salut de l’humanité. Comme un temps du déluge, avec le Christ, une nouvelle Création émerge.
L’enfant blotti dans les bras de sa mère est en sécurité. Il étend joyeusement les bras vers la colombe, comme si c’était un jouet. Ce faisant, il accueille aussi déjà la croix.
Le large fond de feuilles d’or exprime que ce qui se joue là est divin. Sous ses allures de scène paisible, le drame du Salut est mis en scène. Joseph, guidé par le Seigneur, décide et agit. Il se donne pour protéger l’enfant-Dieu et sa mère, comme jadis Noé se donna pour sauver la Création divine.


Discret aux yeux des hommes, Joseph est grand aux yeux de Dieu.


 

CC2 [Carême Confiné 2] 

Moïse présentant les tables de la loi, vers 1648. Moïse présentant les tables de la loi, vers 1648.  

Avec Philippe de CHAMPAIGNE (1602-1674). Moïse présentant les tables de la loi, vers 1648. Huile sur toile, 93 x 74 cm. Milwaukee Art Museum)

La 1ère lecture de ce jour nous fait contempler la figure de Moïse.

A première vue, on a un peu l’impression d’un maître d’école faisant réciter les règles de grammaire à ses élèves, sa baguette en main. Serait-ce vraiment la façon de faire de Dieu ? Nous faire apprendre des règles par cœur ? Je ne le crois pas. Ou alors, tout ça serait dépassé ? Avec l’Evangile d’aujourd’hui, qui nous rappelle que Jésus ne vient pas abolir la loi mais l’accomplir, nous ne pouvons pas le croire non plus.

Alors ? Regardons l’œuvre de plus près.
Moïse est un vieil homme dont l’artiste prend soin de peindre avec réalisme les rides, les veines, les chairs affaissées, les cheveux clairsemés et la barbe grisonnante. L’Exode le rappelle, Moïse est déjà un vieillard, au début de sa mission ; un homme qui a déjà vécu plusieurs vies : né d’un peuple esclave, prince d’Egypte, assassin en fuite, époux, berger… Il a assez vécu pour savoir que l’homme ne parvient pas toujours à agir selon la volonté de Dieu et à respecter son prochain. Pas de jugement en lui pour qui peine sur ce chemin.
Moïse est vêtu d’un magnifique velours bleu brodé d’or, comme celui des prêtres du Temple. Moïse, pourtant n’est pas prêtre. Mais il est l’homme de la rencontre avec Dieu.

D’une main, il retient et les tables de la loi. L’autre, souple, retient à peine sa baguette.
Sa bouche entrouverte exprime sa mission : parler. Transmettre la parole reçue de Dieu.
Figure ouverte, grave mais pas sévère, Moïse nous parle. Sa main traverse l’espace de la toile, hors du parapet de pierre. Il parle. Pour aujourd’hui. Pour nous encore.

Champaigne nous dépeint donc un Moïse bien plus nuancé et plus profond qu’une caricature de maître d’école.
Sa baguette n’est pas destinée à nous faire ânonner les commandements de Dieu comme des tables de multiplication. D’ailleurs, elle ne désigne pas les tables de pierre mais repose sur son épaule. C’est de cette baguette qu’il ouvrit la Mer Rouge pour libérer le peuple, c’est de cette baguette qu’il frappa le rocher pour faire jaillir l’eau et désaltérer le peuple. Sa baguette est signe de l’œuvre de Dieu en lui, pour faire grandir la liberté et la vie dans son peuple.

 

Voilà qui peut nous aider à méditer sur la loi de Dieu, qui n’est pas une liste de commandements à apprendre, mais un chemin de liberté et de vie, un chemin qui nous aide à nous approcher du Seigneur, un chemin pour vivre sur la Terre Promise, qui n’est plus un territoire, mais le Royaume des Cieux ouvert par le Christ.


 

CC1 [Carême Confiné 1]

 

AveMurillo Murillo  c Bartolomé MURILLO, La vie cachée à Nazareth.

Au XVIIe, l'art sacré se pare parfois des atours du quotidien. Pas d'auréoles, pas d'extase. Une mère à son ouvrage, un père qui a délaissé son établi un instant pour jouer avec son petit garçon. Peut-être s'accorde-t-il une pause. Ou s'occupe-t-il de l'enfant qui gênait le travail maternel. l'enfant se réjouit d'avoir son papa pour lui, ne fût-ce qu'un instant. Il lui montre les tours appris à son compagnon de jeu, un petit chien aussi lumineux que lui.

 

Une simple et douce intimité familiale à contempler, celle de l'ordinaire Sainte famille. c'est peut-être l'invitation du Seigneur pour ces jours de confinement: savourer ce que nous vivons d'ordinaire trop vite. S'émerveiller ensemble, à deux, ou seul. Regarder avec plus d'amour la vie, l'ordinaire, et y reconnaître la tendresse de Dieu.

Que Notre Dame de Grâce nous protège.

Article publié par Marie Payen • Publié le Mardi 17 mars 2020 • 7176 visites